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jeudi 4 avril 2019
par  Webmaster IREM

Adieu Michel !

Michel Mizony 1947-2019

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jeudi 4 avril 2019 à 13h04, par  Webmaster IREM

En apprenant la disparition de Michel, quelques souvenirs me sont immédiatement revenus. Souvenirs visuels tout d’abord, une barbe, une pipe et des sandales : le personnage était croqué ! Souvenirs auditifs également : Michel avait une voix très reconnaissable. Souvenirs intellectuels et affectifs enfin ; les échanges avec lui étaient toujours passionnants, qu’ils portent sur la science, la philosophie ou des points plus personnels. J’ai principalement côtoyé Michel dans le cadre de l’IREM. Les quelques anecdotes qui suivent sont donc essentiellement dans ce cadre.

Tout d’abord, il y a sans doute plus de vingt ans, en arrivant dans le couloir qui menait aux locaux de l’IREM de l’époque, vers 9 heures du matin, je vois deux personnes en grande conversation. En m’approchant j’entends : « Les trous noirs n’existent pas ! ». Ceux qui le connaissent ont reconnu Michel. Son interlocuteur était Claude Tisseron. Ce matin là je me suis dit -et je le pense encore- quelle chance on a de pouvoir au détour d’un couloir entendre ce genre de conversation ! Quoi que l’on puisse penser de l’affirmation de Michel, elle me semble significative de sa capacité à avoir une pensée personnelle en dehors du flot majoritaire. Je précise aussi que ce n’était pas juste une conversation de couloir comme on parle de conversation de bistrot : il y avait derrière une réflexion très profonde sur l’utilisation de modèles mathématiques en science nourrie par une lecture fine de philosophes et de scientifiques.

Quelques années plus tard, au début des années 2 000, Michel est nommé directeur de l’IREM de Lyon. C’est un poste qui demande au moins deux qualités : savoir animer des équipes et avoir des qualités de négociateur pour obtenir ou conserver les postes, les heures et les locaux nécessaires au bon fonctionnement de l’Institut. Je dois dire que quelques collègues avaient des doutes : le style de Michel, si j’ose dire de la tête aux pieds, semblait détonner par rapport aux canons vestimentaires et capillaires des bureaux de la faculté ou du rectorat. Ce style ne pouvait-il pas nuire lors du travail de négociation ? A la fin de son mandat de directeur, tous les doutes étaient levés : Michel avait été un excellent directeur d’IREM. Il s’était battu bec et ongles, avec succès, pour conserver à l’IREM les moyens de son fonctionnement. De plus il s’était beaucoup investi dans les groupes.

Michel a continué, après ses fonctions de directeur, à venir à son bureau, tout près du secrétariat. Sa porte était en général ouverte. Ce n’était pas seulement symbolique : la porte de Michel,que ce soit à son bureau ou à son domicile, était ouverte. Alors que je passais devant cette porte, Michel m’appelle :
• René, viens voir !
Il me montre l’écran de son ordinateur :
• Qu’est-ce que c’est ? Ca ressemble à un casier d’imprimeur…
• C’est ça. Quelle date ?
• Spontanément je dirais Gutenberg, mais si tu me le demandes…
• Onzième siècle en Syrie ! Ils connaissaient l’imprimerie !
Je sens alors un blanc, Michel a presque les larmes aux yeux : « J’aurais tellement aimé montrer ça à mon père, il était imprimeur ». Voilà Michel avec ses fulgurances, ses colères contre l’injustice et ses fêlures.

Tout récemment, c’était le 8 février, nous nous sommes retrouvés, à l’initiative de ses filles, chez Michel, en fin d’après midi, un groupe d’environ vingt-cinq personnes. Michel nous a confié sa fatigue, mais bien vite il est reparti sur ses derniers sujets de réflexion, l’œil brillant d’avoir approfondi tel ou tel point et de faire partager l’état de sa recherche. Au moment de se séparer, nous étions encore quelques-uns autour de lui et il nous a dit : « Quand je partirai, je vous ferai signe ».
Je sais maintenant que c’était sa façon de nous dire adieu, avec élégance, la seule qui compte, celle du cœur.
Michel, je te souhaite de poursuivre tes dialogues avec Kant ou Poincaré - tu nous as laissé des écrits à ce sujet - mais aussi, et surtout, de retrouver ceux que tu as aimé et qui t’ont aimé.

René Mulet-Marquis


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