À l'aide de votre mathématico-coach, plus jamais de pannes sèches !

Sommaire

Les dés schtroumpfés


Exposition du problème

Le pays des Schtroumpfs est actuellement secoué par une agitation peu courante…

Sur la table centrale du village sont disposés 4 dés, tout ce qu'il y a de plus courant, dont voici les patrons :

Le patron des dés D'Efron

Le schtroumpf gourmand a défié le schtroumpf pâtissier :
« Schtroumpf pâtissier, je te laisse choisir un dé. Je choisirai un autre schtroumpf juste après, et nous lancerons nos dés respectifs. Si je fais le plus grand schtroumpf, tu me donneras un gâteau à la salsepareille. Si tu fais un plus grand schtroumpf que moi, alors je te rendrai un gâteau. En cas d'égalischtroumpf, personne ne gagnera ou ne perdra de gâteaux. Nous lancerons nos dés très longschtroumpf, disons une infinischtroumpf de fois. »

Le schtroumpf pâtissier se met alors à activer toutes ses synapses : « Mon but est bien évidemment de garder tous mes gâteaux ! Quel dé dois-je choisir pour ne pas nourrir ad vitam aeternam ce rusé schtroumpf gourmand ? »

Cette réflexion fort légitime du schtroumpf pâtissier est interrompue par le schtroumpf à lunettes, qui a une objection elle aussi fort judicieuse : « Ce n'est pas schtroumpf ! Le schtroumpf gourmand n'a pas de gâteaux au départ. Il a donc tout à gagner, tandis que le schtroumpf pâtissier ne peut que perdre. Or le Grand Schtroumpf nous a dit de ne pas faire d'échanges inégaux, parce que ce n'est pas bien et que… »

Cette diatribe dithyrambique, interrompue juste à point par le schtroumpf costaud, semble cependant légitime : déjà, tout le village commence à huer le pauvre schtroumpf gourmand… qui se sent dès lors obligé d'ajouter des clauses au contrat initial :
« Nous tiendrons le compte des points sur un papier (NDLR : un papier très long, puisque le nombre de tirage sera, faut-il le rappeler, infini…), et si à la fin mon schtroumpf est négatif, alors je m'engage à schtroumpfer pour le schtroumpf pâtissier autant de journées que mon compte est négatif. »

Soulagés, les habitants du village retournent leurs visages vers le schtroumpf pâtissier, lequel est en proie aux affres du doute : quel dé doit-il prendre pour gagner un employé ?

Ne laissez pas le schtroumpf pâtissier dans cet état ! Un coup de main lui serait bienvenu… Quel dé choisiriez-vous ? Et surtout, pourquoi ?

(Ce problème est librement inspiré des dés dits « d'Efron ».)


La solution

(Cet article est disponible au format PDF)

Prologue

Notons D1 le dé immatriculé 0,0,4,4,4,4, D2 celui immatriculé 3,3,3,3,3,3, D3 celui immatriculé 2,2,2,2,6,6, D4 celui immatriculé 1,1,1,5,5,5. Faisons la taxinomie exhaustive (allez hop ! une petite périssologie pour démarrer…) des confrontations dé à dé.

On constate que dans tous les cas, Schtroumpf gourmand a l'avantage de pouvoir choisir un dé lui permettant de se goinfrer avec une probabilité p=\frac23>\frac12. Voilà un jeu qui relève de l'iniquité la plus abjecte pour notre pauvre hère Schtroumpf pâtissier…

Une alternative pour endiguer les affres endémiques du Schtroumpf pâtissier serait de se livrer à une suite inextinguible de jeux de dé suivant les mêmes conditions. Quel Schtroumpf cet exutoire va-t-il rendre exsangue tout en sachant que notre Schtroumpf pâtissier est une descendance de la chèvre Amalthée (la corne d'abondance immarscecible de l'Univers… ) ?
La réponse juste après la section suivante.


Modélisation du problème

Première modélisation

Les Schtroumpfs se livrent à une succession de jeux de dé illimitée avec, à chaque coup, une probabilité p=\frac23 de gain pour l'infâme Schtroumpf gourmand, à l'instar d'une succession de pile ou face avec une pièce schtroumpfée.

On note Xn = +1 dans le cas d'un jeu gagnant et Xn = –1 dans le cas d'un jeu perdant.

Posons ensuite Sn = X1+…+ Xn ; Sn représente le nombre de gâteaux (« positifs » et « négatifs » !) gagnés par Schtroumpf gourmand au bout de n jeux. Pour les Schtroumpfs initiés, la variable aléatoire Sn suit la loi binomiale de paramètres n et p et la suite (Sn )n ∈ ℕ est la célèbre marche aléatoire du dipsomane impénitent ou de l'onagre claudiquant (je me répète, mais bis repetita placent…).

Deuxième modélisation

Le problème associé à la modélisation précédente n'étant pas complètement trivial (à cause de la mixité rendu de gâteau-unité de plonge), la rédaction a délibérément choisi de le simplifier en rajoutant une hypothèse de boulimie : Schtroumpf gourmand, Schtroumpf à la manducation irrépressible, engloutit instantanément chaque gâteau qu'il gagne et donc chaque gâteau qualifié de négatif représente un jour de pensum, Schtroumpf pâtissier ne récupère aucun de ses gâteaux (ce qui n'est pas un problème puisque Amalthée n'est pas loin de la résurrection…).

En fait, Schtroumpf gourmand qui se révèle être un croisement entre un Schtroumpf paresseux et un Schtroumpf tire-au-flanc n'est pas prêt à faire indéfiniment le sbire au service du Schtroumpf pâtissier à chaque échec au jeu de dé. En conséquence, on supposera que le nombre de jours de pénitence est fini, disons b. Par ailleurs, dans un premier temps, sans volonté d'offusquer la biquette capricante, on supposera que le stock du Schtroumpf pâtissier n'est pas aussi illimité qu'il le prétend : il contient a gâteaux. On fera ensuite tendre a vers l'infini pour honorer le mythe.

On définit alors N_a=\min\{n\ge 1\,:\,S_n=a\} et N_{-b}=\min\{n\ge 1\,:\,S_n=-b\}.
Le nombre Na est le numéro du premier jeu à l'issue duquel le stock de gâteaux du Schtroumpf pâtissier est vidé.
Le nombre N–b est le numéro du premier jeu à l'issue duquel Schtroumpf gourmand a obtenu b gâteaux « négatifs », i.e. ses b unités de plonge (saturation du pensum).
La probabilité cruciale du problème est \mbox{Prob}(\mbox{Schtroumpf gourmand gagne})=\mbox{Prob}(N_a<N_{-b}).
Le Schtroumpf avisé aura reconnu le célèbre problème de la ruine du joueur : l'inégalité Na<N–b signifie que le Schtroumpf pâtissier est ruiné (plus de gâteau) avant la saturation en corvée du Schtroumpf gourmand.


Résolution du problème

Afin de calculer la probabilité \mbox{Prob}(N_a<N_{-b}), on introduit la probabilité intermédiaire u_i=\mbox{Prob}(N_a<N_{-b}|S_{n_0}=i) en tenant compte de l'état obtenu à l'issue d'un certain n0e jeu : on suppose qu'à ce moment Schtroumpf gourmand dispose de i gâteaux (positifs ou négatifs, est-il utile de le rappeler ?), disons qu'il est dans l'état i\in\{–b,–b+1,...,a–1,a\}.
En fait, ui ne dépend pas de n0, le dénouement du jeu ne repose que sur le nombre i de gâteaux à un moment donné arbitraire (là, ça sent le Markov à plein nez…). On cherche à calculer u0.

On va écrire (qui scribit bis legit) une relation de récurrence pour la suite (ui)–b ≤ i ≤ a.
Supposons qu'à l'issue du n0e jeu, Schtroumpf gourmand soit dans un état i.

Cette discussion oiseuse mais non alambiquée conduit à la relation, pour –b< i <a,

u_i=p \,\mbox{Prob}(N_a<N_{-b}|S_{n_0-1}=i-1) + q \,\mbox{Prob}(N_a<N_{-b}|S_{n_0-1}=i+1).

En d'autres termes ui = p ui–1 + q ui+1 avec ua = 1 (si Sn0 = a, Schtroumpf gourmand a définitivement gagné) et u–b = 0 (si Sn0 = –b, il a perdu).

C'est une récurrence linéaire à trois indices dont l'équation caractéristique est qr2 – r + p = 0 de solutions 1 et ρ = p/q. Comme p=\frac23 et q=\frac13, on a ρ ≠ 1 et l'on sait que la suite recherchée est alors une combinaison linéaire de deux suites géométriques de raison 1 et ρ : ui = λ ρi + μ. Les conditions ua = 1 et u–b = 0 fournissent ensuite les équations λ ρa + μ = 1 et λ ρ–b + μ= 0 donnant \lambda=\frac{1}{\rho^a-\rho^{-b}}=\frac{\rho^b}{\rho^{a+b}-1}, \mu=-\frac{1}{\rho^{a+b}-1}. D'où u_0=\lambda+\mu=\frac{\rho^b-1}{\rho^{a+b}-1}=\frac{q^a(p^b-q^b)}{p^{a+b}-q^{a+b}}. La solution à notre problème est finalement, avec p=\frac23 et q=\frac13 :

\mbox{Prob}(\mbox{Schtroumpf gourmand gagne})
=\frac{2^b-1}{2^{a+b}-1}.

Bonus track : si on « bricole » les dés de façon à avoir un jeu équitable, i.e. tel que p=q=\frac12, alors l'équation caractéristique utilisée précédemment devient r2 – 2r + 1 = 0. Elle admet une racine double qui vaut 1 et dans ce cas, la suite recherchée est une suite arithmétique : ui = λ i + μ. Les conditions ua = 1 et u–b = 0 fournissent λ a + μ = 1 et –λ b + μ = 0 donnant \lambda=\frac{1}{a+b} et \mu=\frac{b}{a+b}. Enfin, puisque u0, on trouve

\mbox{Prob}(\mbox{Schtroumpf gourmand gagne})=\frac{b}{a+b}.

En faisant tendre a vers +∞, la probabilité précédente tend vers 0 : \mbox{Prob}(\mbox{Schtroumpf gourmand gagne})=0,
et en faisant tendre b vers +∞, la probabilité précédente tend vers 1 : \mbox{Prob}(\mbox{Schtroumpf gourmand gagne})=1.