Le constat du caractère primordial de l'enseignement précoce et explicite du code, déjà partagé dans la communauté des chercheurs depuis une conférence de consensus en 2003, n'a cessé de se renforcer depuis. Il est confirmé de la manière la plus nette par cette étude. Ce doit être fait « dès le premier jour de CP », dit Roland Goigoux. Et à un tempo soutenu: l'étude constate que le fait d'enseigner plus vite plus de correspondances entre les sons de la langue (les « phonèmes ») et les groupes de lettres qui les transcrivent (les « graphèmes ») « influence significativement et positivement l'ensemble des élèves et bénéficie nettement aux élèves initialement faibles qui sont pénalisés par un début tardif ou un tempo trop lent ». Cette conclusion est d'autant plus forte qu'elle est contre-intuitive et prend à revers la culture dominante chez les enseignants, souvent convaincus qu'il ne faut pas aller trop vite afin de ménager les élèves qui ont du mal.
Que veut dire enseigner plus vite plus de correspondances entre les sons et les groupes de lettres qui les transcrivent, dès le premier jour de CP, à un tempo soutenu, si cela ne veut pas dire mettre d'abord l'accent sur le déchiffrement syllabique ?
Ceux qui ne veulent rien entendre font semblant de croire que le débat porte sur le choix méthode globale, méthode syllabique.
Non. Roland Goigoux a travaillé comme instituteur avant d'être professeur des Universités et dirige actuellement un laboratoire de l'IUFM à l'université de Clermont-Ferrand. Il sait que l'immense majorité des professeurs utilisent les méthodes mixtes, et ce sont bien elles qui sont, au moins implicitement, critiquées dans son rapport. Pouquoi perdrait-il son temps à critiquer une méthode, la méthode globale, que personne n'utilise ?
Cela fait des dizaines d'années que des personnes, reléguées au rang des rétrogrades et des réactionnaires, prêchent dans le désert en dénonçant ces méthodes. Pour ne citer que quelques noms, Marc le Bris, Rachel Boutonnet, Laurent Lafforgue, Natacha Polony … Ce qui est nouveau, c'est que, pour la première fois, une étude commandée par le Ministère de l'Éducation semble conclure à la nécessité d'introduire plus de déchiffrement syllabique, même si R. Goigoux évite d'agiter le chiffon rouge, en se gardant bien d'utiliser le mot syllabe, et ne va pas jusqu'à reconnaitre la nocivité des méthodes mixtes.
Premier scandale. Pourquoi le département d'évaluation des programmes de l'éducation nationale n'a-t-il pas pris la peine de mener lui-même une telle évaluation ? Cela lui serait pourtant facile : il lui suffirait de croiser les chiffres recueillis dans chaque classe lors des évaluations nationales des élèves avec les méthodes qu'elles utilisent. Lorsque l'on dépense un budget annuel de 63,4 milliards d'euros, la moindre des choses est d'optimiser ses pratiques. Pourquoi l'éducation nationale refuse-t-elle encore de recommander à ses enseignants les meilleurs manuels ? Deuxième scandale dévoilé par l'enquête Deauvieau : nous sommes en 2013, et 77 % des enseignants des zones défavorisées choisissent toujours un manuel de lecture inapproprié, qui fait appel à une méthode mixte, c'est-à-dire où l'enfant passe un temps considérable à des exercices de lecture globale et de devinettes de mots qu'il n'a jamais appris à décoder. Seuls 4 % adoptent une méthode syllabique, qui propose un enseignement systématique et structuré des correspondances entre les lettres et les sons. Or les résultats montrent que c'est ce système qui réussit le mieux aux enfants, et de très loin : 20 points de réussite supplémentaires sur 100 aux épreuves de lecture et de compréhension !
Un autre extrait de cet article: Une expérience remarquable montre ainsi que le même alphabet sera appris rapidement ou, au contraire, totalement oublié, selon que l'on s'arrête sur les lettres ou, au contraire, sur la forme globale du mot : l'attention globale canalise l'apprentissage vers une aire cérébrale inappropriée de l'hémisphère droit et entrave le circuit efficace de lecture. On mesure ici combien la méthode mixte, en désorientant l'attention, cause de dégâts. (article entier dans Le Monde du 20/12/2013)
Venons-en maintenant aux conclusions des travaux menés par Monsieur Goigoux: d'après les premiers éléments dont nous bénéficions, il valide l'importance du déchiffrage. Seulement voilà: il était trop douloureux de donner raison aux défenseurs de la méthode syllabique, et plus douloureux encore de reconnaître que l'on s'est trompé depuis plus de vingt ans et que l'on a condamné plusieurs milliers d'écoliers à l'illettrisme par pur dogmatisme. Il convenait donc de noyer un peu le poisson: tout en reconnaissant l'importance du déchiffrage, l'étude refuse d'affirmer la supériorité d'une méthode sur une autre, sous prétexte qu'il ne «suffit pas de déchiffrer un texte pour le comprendre». En bref: Roland Goigoux a le verdict en main mais refuse de le prononcer.
Des réactions plutôt favorables au livre de Sandrine Garcia, et Anne-Claudine Oller, Réapprendre à lire, dans différents journaux, que vous ne pourrez malheureusement lire en totalité que si vous êtes abonnés à ces journaux.
Dans Libération, le 31 aout 2015. Quelle bonne surprise de la part de ce journal! Un extrait: Des méthodes dites progressistes, censées lutter contre les effets des inégalités sociales, les renforcent au contraire. C'est le constat édifiant établi par deux sociologues dans «Réapprendre à lire», un essai qui vient de paraître. Un enjeu qui dépasse la querelle entre anciens et modernes pédagogues. Un bémol cependant: Si on est d'accord avec la phrase " Des méthodes, dites progressistes, … renforcent les inégalités … ", il serait plus élégant de donner raison aux anciens, pour une fois en avance, que de renvoyer dos à dos les adversaires, par ce " qui dépasse la querelle entre anciens et modernes.; "
Dans Le Monde du 15/09/2015, un article intitulé Méthodes de lecture : des « querelles de chapelle » pour les enseignants, tente d'accréditer l'idée qu'au fond, rien de neuf, car il y a longtemps que les instituteurs chevronnés combinent au mieux méthode syllabique et globale. Voici un extrait de cet article, pour ceux qui ne peuvent y accéder:
Dans toutes les écoles où elles ont pu enseigner, l'une et l'autre disent n'avoir jamais rencontré de « collègues ne faisant que de la globale ou que de la syllabique ». Selon elles, un instituteur un tant soit peu chevronné sait tirer profit d'approches différentes mais complémentaires, multiplier les supports et, surtout, varier les « entrées » dans la lecture et l'écriture - deux apprentissages intimement liés. Combiner le déchiffrage, l'écriture, le vocabulaire, la compréhension de textes écrits lus par l'enseignant...
Il y a encore du chemin à parcourir.