2 Familles sommables à termes positifs

2.1 Rappels

Rappel 1.6.

La somme x+y avec x,y¯, est définie à l’exception du cas où x=± et y=x.

Contrairement au cas des limites, on pose 0.+=0, t.+=+ pour t>0.

Pour un ensemble A non-vide (non-nécessairement borné), on utilise supA pour le plus petit majorant M¯ de A et infA pour le plus grand minorant m¯ de A.

On utilisera aussi inf∅︀=+, sup∅︀=.

Si (ai)i=1,,n est une suite finie (disons de nombres complexes) et σ:[[1,n]][[1,n]] une bijection.

La propriété de commutativité de la somme donne:

i=1nai=i=1naσ(i).
Démonstration : 

En voyant σ comme produit de transpositions, il suffit de montrer le résultat pour σ=(jk) une transposition avec j<k.

Mais par commutativité (a+b=b+a) et associativité ((a+b)+c=a+(b+c)) de la somme:

i=1naσ(i)=i=1j1aσ(i)+aσ(j)+i=j+1k1aσ(i)+aσ(k)+i=k+1naσ(i)=i=1j1ai+ak+i=j+1k1ai+aj+i=k+1nai=i=1nai.

Corollaire 1.10.

Si E est fini et e:[[1,n]]E une bijection, f:E alors i=1nf(ei) ne dépend pas de la bijection e. On note

eEf(e)=i=1nf(ei).
Démonstration : 

Si on prend une autre bijection e on considère la bijection σ=e1e de sorte que eσ=e. La formule de commutativité de la somme conclut:

i=1nf(ei)=i=1nf(eσ(i))=i=1nf(ei).

Le résultat suivant résume les propriétés de manipulation de ces sommes:

Proposition 1.11.
  1. 11.

    Si E fini, on a

    Card(E)=eE1.
  2. 12.

    (Sommation par paquet) Si E fini est une union disjointe finie E=iIEi (c’est à dire I fini et EiEj=∅︀ si ij) et f:E alors:

    eEf(e)=iIeEif(e).

    En particulier, on a Card(E)=iICard(Ei).

  3. 13.

    (interversion de sommes finies) Si E,F sont finis et a:E×F, alors:

    eEfFae,f=(e,f)E×Fae,f=fFeEae,f.

    En particulier, on a Card(E×F)=Card(E)Card(F).

Démonstration : 

1. Si Card(E)=n, E={e1,,en} pour une bijection e:[[1,n]]E, on a donc eE1=i=1n1=n par définition.

2. On pose j:[[1,m]]I une bijection et ni=Card(Ej(i)) On note N0=0,Ni=l=1inl.

On a NiNi1=ni,i1 donc on a une bijection (en composant la soustraction de Ni1: [[Ni1+1,Ni]][[1,ni]] avec la bijection donnée par la définition du cardinal [[1,ni]]Ej(i), gi:[[Ni1+1,Ni]]Ej(i). On pose g(k)=gi(k), si k[[Ni1+1,Ni]]. Montrons que g réalise une bijection de [[1,Nm]]E. En effet, par hypothèse, E est l’union des Ej(i), dont tous les éléments sont atteints par gi, donc par g qui est donc surjective. De plus, si g(k)=g(l)Ei, comme l’union décrivant E est disjointe, on a k,l[[Ni1+1,Ni]] et gi(k)=gi(l) et comme gi est injective, on déduit k=l et donc comme k,l sont arbitraires, on déduit que g est aussi injective.

Donc par définition de la somme sur un ensemble (au début et aux deux dernières lignes):

eEf(e)=k=1Nmf(g(k))=k=1N1f(g(k))+k=N1+1N2f(g(k))++k=Nm1+1Nmf(g(k))=l=1mk=Nl1+1Nlf(g(k))=l=1mk=Nl1+1Nlf(gl(k))=l=1meEj(l)f(e)=iIeEif(e)

Le résultat sur le cardinal est une application du 1. et de la sommation par paquet pour la fonction f=1 constante:

Card(E)=eE1=iIeEi1=iICard(Ei).

3. Il suffit d’appliquer la sommation par paquet aux unions disjointes

E×F=eE{e}×F=fFE×{f}.

Pour le cardinal on a par le 1 et la distributivité de la multiplication par rapport à l’addition:

Card(E×F)=(e,f)E×F1=eEfF1=eECard(F)=Card(F)eE1=Card(E)Card(F).

2.2 Définition et premières propriétés

Définition 1.4.

Une famille (ai)iI de nombres réels positifs est dite sommable si

sup{jJaj:JI,fini}<

et alors on note

iIai=sup{jJaj:JI,fini}.

Tout d’abord, le résultat simple suivant ramène au cas I dénombrable, ce que l’on supposera par la suite:

Lemme 1.12.

Si (ai)iI est une famille sommable, alors le support I0={iI:ai0} est au plus dénombrable.

Démonstration : 

Si S=iIai=0, alors I0=∅︀. Sinon si S=iIai>0 et si In={iI:aiS/n}, alors I0=n1In est au plus dénombrable comme union d’une suite d’ensembles finis car Card(In)n. En effet, si jIn, ajS/n donc si JIn fini SjJnajSCard(J)/n donc Card(J)n et donc Card(In)n.   □

On résume les propriétés générales dans l’énoncé suivant:

Proposition 1.13.
  1. 14.

    (critère des suites exhaustives) Si (Jn)n0 est une suite exhaustive de parties finies de I, alors la famille (ai)iI est sommable si et seulement si la suite (iJnai)n0 est bornée et alors on a

    iIai=supniJnai=limniJnai.
  2. 15.

    (lemme de domination) Si aibi pour tout i et (bi) sommable, alors (ai)iI est sommable et alors iIaiiIbi.

  3. 16.

    (lemme de permutation) Si (ai)iI est sommable et σ:II est une bijection, alors (aσ(i))iI est sommable de même somme.

Démonstration : 

1/ La famille iJnai étant inclus dans la famille des sommes finies, il est clair qu’elle est majorée si la famille est sommable (et on a en passant au sup la partie de l’égalité énoncée). Mais réciproquement toute famille finie est inclus dans un certain Jn, par définition d’une suite exhaustive, d’où la borne inverse et la réciproque.

2/ Il suffit de borner les sommes partielles finies iJaiiJbi et passer au sup.

3/ Pour tout J fini, σ(J) est fini donc iJaσ(i)=iσ(J)aiiIai. D’où la sommabilité et la première inégalité en passant au sup. En considérant la bijection réciproque σ1 on obtient de même l’autre inégalité.   □

Le dernier résultat généralise la commutativité des sommes.

Corollaire 1.14.

Une famille à termes positifs (an)n est sommable si et seulement si la série n=0an est convergente.

2.3 Sommation par paquet et applications

On conclut avec les deux résultats importants, le premier généralise l’associativité des sommes finies. On rappelle qu’une partition (Iλ)λΛ de I est une famille d’ensembles 2 à 2 disjoints d’union égale à I.

Théorème 1.15 (de sommation par paquets - Cas Positif).

Soit (Iλ)λΛ une partition de I. Une famille (ai)iI est sommable si et seulement si on a à la fois les deux propriétés suivantes:

  1. 17.

    pour chaque λΛ, (ai)iIλ est sommable, disons de somme σλ

  2. 18.

    et (σλ)λΛ est sommable.

Dans tous les cas (même en l’absence de sommabilité), on a l’égalité:

iIai=λΛσλλΛ(iIλai).
Démonstration : 

Commençons par la condition nécessaire. Si (ai)iI est sommable alors les sommes finies d’une sous famille (ai)iIλ sont bornées par les sommes de la famille totale donc on a la première condition de sommabilité et σλiIai. Plus si on a des sous ensembles finis J1Iλ1,,JnIλn pour des λj distincts, ils sont disjoints et leur union J=k=1nJk est un sous-ensemble fini de I donc

k=1niJkai=iJaiiIai

Donc en passant successivement au sup sur les Jk fini, on obtient :

k=1nσλkiIai.

Donc la famille (σλ)λΛ est sommable et on obtient la première inégalité en passant au sup.

Réciproquement, pour tout J partie finie de I on définit Jλ=JIλ et on obtient un nombre fini de λ tel que J=k=1nJλk. On déduit

iJai=k=1niJkaik=1nσλkλΛσλ.

D’où la bornitude sur J qui donne la sommabilité, et l’autre inégalité en passant au sup.   □

Un cas particulier est la “version famille sommable” du théorème de Fubini (qui se généralise à un théorème d’intégration). Le cas positif est nommé théorème de Fubini-Tonelli. Il correspond à la décomposition

I×J=iI{i}×J=jJI×{j}.

Il donne un résultat d’interversion des sommes.

Théorème 1.16 (de Fubini-Tonelli).

Une famille double (ai,j)iI,jJ à termes positifs est sommable si et seulement si on a l’une des deux propriétés équivalentes suivantes:

  1. 19.

    pour tout iI, (ai,j)jJ est sommable et la famille des sommes (jJai,j)iI est sommable

  2. 20.

    pour tout jJ, (ai,j)iI est sommable et la famille des sommes (iIai,j)jJ est sommable

Dans tous les cas (même en l’absence de sommabilité), on a l’égalité:

(i,j)I×Jai,j=iI(jJai,j)=jJ(iIai,j).
Démonstration : 

C’est une application directe du résultat de sommation par paquets avec les partitions ci-dessus.   □

Exemple 1.2.

Calculons la somme I=i=0j=01(i+j+1)2.

Comme c’est une série à coefficient positifs, chaque somme est somme d’une famille sommable, donc par Fubini-Tonelli, on obtient une somme sur le produit:

I=ij1(i+j+1)2=(i,j)21(i+j+1)2.

Comme chaque terme de la somme ne dépend que de n=i+j+1, on a envie de considérer la partition de 2=nΛn avec Λn={(i,j)2:i+j+1=n}. Par le théorème de sommation par paquet, on a :

I=n=1(i,j)Λn1(i+j+1)2.

Il suffit donc de calculer (i,j)Λn1(i+j+1)2 Mais Λn est fini de taille n vu Λn={(i,n1i):0in1}[[0,n1]], donc (i,j)Λn1(i+j+1)2=Card(Λn)n2=1n. C’est le terme d’une série de Riemann divergente, donc I=+ et les familles ne sont pas sommables.