1 Mesure produit et théorèmes de Fubini

1.1 Tribus produits

La méthode de base pour calculer une intégrale d’une fonction de 2 variables est de se ramener à des intégrales de fonctions de 1 variable. Pour cela il nous faut d’abord expliquer comment on peut munir X×Y d’une structure d’espace mesuré quand X,Y sont tous les deux munis d’une telle structure.

Définition 5.1.

Soient (X,𝒜,μ1) et (Y,,μ2) deux espaces mesurés σ-finis. On note 𝒜 la tribu engendrée par les parties de la forme A×B, où A𝒜, B; on l’appelle tribu produit des tribus 𝒜 et .

Lemme 5.1.

Si 𝒜=σ() et =σ(), on a 𝒜=σ({E×F,E,F}).

En particulier, (n+m)=(n)(m). De plus, si f:(X,𝒜)(Z,𝒞) et g:(Y,)(Z,𝒟) sont mesurables, l’application (f,g):(X×Y,𝒜)(Z×T,𝒞𝒟) définie par (f,g)(x,y)=(f(x),g(y)) est mesurable.

Démonstration : 

Vu {E×F,E,F}𝒜, on obtient en passant à la tribu engendrée 𝒢:=σ({E×F,E,F})𝒜.

Réciproquement, on pose 𝒜={A𝒜:F,A×F𝒢}. On a clairement que 𝒜 contient et on vérifie facilement que c’est une tribu (vu que Ac×F=(Ω×F)(A×F)𝒢 pour F.) D’où 𝒜=σ()=𝒜. De même, on pose ensuite, ={B:A𝒜,A×B𝒢} et on déduit du point précédent que et comme avant que est une tribu d’où =. Finalement, on a donc 𝒜×𝒢 d’où l’inclusion complémentaire de tribus.

Le cas particulier (n+m)=(n)(m) est une conséquence immédiate du Corollaire 4.16.

Pour le dernier point, comme 𝒞𝒟=σ({E×F,E𝒞,F𝒟}) il suffit de noter que (f,g)1(E×F)=f1(E)×g1(F)𝒜×𝒜 et le lemme 4.13 conclut.   □

1.2 Mesure produit

Théorème 5.2 (définissant la mesure produit).

Soient (Ω1,𝒯1,μ1) et (Ω2,𝒯2,μ2) deux espaces mesurés σ-finis. Alors il existe une unique mesure ν sur 𝒯1𝒯2 vérifiant

ν(A×B)=μ1(A)μ2(B)

pour tout A𝒯1 et tout B𝒯2 (avec la convention usuelle 0.(+)=0). Cette mesure est notée μ1μ2=ν, et est σ-finie.

Exemple 5.1.

Si λn désigne la mesure de Lebesgue sur n, alors on a toujours λn+m=λnλm. On applique le corollaire 4.19 au lemme de classe monotone à l’ensemble des pavés . Par définition, λn+m,λnλm coïncident sur les pavés. Or M[M,M]n+m=Rn+m et λn+m([M,M]n+m)=(2M)n+m=(λnλm)([M,M]n+m)<+ donc on conclut à l’égalité voulue.

La preuve va être basée sur le fait de montrer un cas particulier du théorème de Fubini suivant pour les fonctions indicatrices.

Démonstration : 

Unicité On applique le même corollaire 4.19 au lemme de classe monotone. ON prend ={A×B,A𝒯1,B𝒯2} qui engendre 𝒯1𝒯2 par définition. Deux mesures ν1,ν2 vérifiant le théorème coïncident sur . Or comme μ1,μ2 sont σ-finies, on obtient Ωi=nAi,n avec Ai,n𝒯i et μi(Ai,n)<+. Alors, on a A1,n×A2,n et est de mesure μ1(A1,n)μ2(A2,n)<+ pour ν1,ν2. Ceci donne la dernière hypothèse du corollaire 4.19 qui conclut à μ1=μ2.

Existence Pour C𝒯1𝒯2, on pose Cx={yΩ2:(x,y)C}. On cherche à voir que Cx𝒯2. Supposons d’abord μ2 finie. On considère

𝒞={C𝒯1𝒯2:xCx𝒯2etxμ2(Cx)est𝒯1mesurable}.

Alors on a

  • 𝒞 contient les pavés mesurables C=A×B avec A𝒯1,B𝒯2 car (A×B)x{∅︀,B} en distinguant le cas xA,xA donc μ2(Cx)=1A(x)μ2(B).

  • 𝒞 est une classe monotone car si CC,C𝒞 (CC)x=CxCx d’où la mesurabilité et μ2(CC)x=μ2(Cx)μ2(Cx) par finitude de μ2 qui est mesurable par différence donc CC𝒞. De même si Cn est une suite croissante (nCn)x=n(Cn)x qui est dans 𝒯2 et μ2((nCn)x)=supnμ2((Cn)x) est bien mesurable.

Donc 𝒞 contient la classe monotone engendrée par les pavés, donc (par le lemme de classe monotone) est égale à 𝒯1𝒯2.

Si μ2 est σ-finie, on regarde les mesures induites et déduit le même résultat de mesurabilité de μ2(Cx) par limite croissante.

On peut donc poser

ν(C)=Ω1μ2(Cx)𝑑μ1(x).

Il faut voir que c’est une mesure en montrant la σ-additivité: Soient Cn des ensembles mesurables disjoints, (en utilisant qu’alors les Cxn sont disjoints), il suffit d’utiliser l’interversion série intégrale:

ν(nCn)=Ω1μ2(nCxn)𝑑μ1(x)=Ω1nμ2(Cxn)dμ1(x)=nΩ1μ2(Cxn)𝑑μ1(x)=nν(Cn).

Enfin, ν convient par le calcul précédent de μ2((A×B)x):

ν(A×B)=Ω11A(x)μ2(B)𝑑μ1(x)=μ1(A)μ2(B).

1.3 Théorème de Fubini-Tonelli et Fubini (admis)

La mesure produit μ1μ2 étant définie à partir de μ1 et μ2, on s’attend à ce qu’il en soit de même de l’intégrale d’une fonction mesurable relativement à μ1μ2.11 1 Cette sous-section reprend le cours de 2018-2019 de T. Blossier, M. Carrizosa et J. Melleray. Et c’est effectivement le contenu des théorèmes de Fubini. On commence par le cas positif.

Théorème 5.3 (Fubini–Tonelli).

Soient (Ω1,𝒯1,μ1) et (Ω2,𝒯2,μ2) deux espaces mesurés σ-finis. Soit f:Ω1×Ω2[0,+] une fonction 𝒯1𝒯2-mesurable. Alors:

  1. 1.

    yf(x,y) est une fonction mesurable (sur (Ω2,𝒯2) dans [0,+] ) pour tout xΩ1, et xΩ2f(x,y)𝑑μ2(y) est une fonction mesurable (sur (Ω1,𝒯1)).

  2. 2.

    xf(x,y) est une fonction mesurable (sur (Ω1,𝒯1) dans [0,+]) pour tout yΩ2, et yΩ1f(x,y)𝑑μ1(x) est une fonction mesurable (sur (Ω2,𝒯2)).

  3. 3.

    On a

    Ω1×Ω2f(x,y)𝑑μ1μ2(x,y)=Ω1(Ω2f(x,y)𝑑μ2(y))𝑑μ1(x)=Ω2(Ω1f(x,y)𝑑μ1(x))𝑑μ2(y).
Exercice 5.1.

Calculer l’aire du disque unité D={(x,y)2:x2+y21}.

Comme dans le cas des fonctions définies sur n, on en déduit facilement un théorème qui s’applique à toutes les fonctions intégrables (et pour vérifier qu’une fonction est intégrable, on peut commencer par appliquer le théorème de Fubini–Tonelli à |f|).

Théorème 5.4 (Fubini).

Soient (Ω1,𝒯1,μ1) et (Ω2,𝒯2,μ2) deux espaces mesurés σ-finis. Soit f:Ω1×Ω2 une fonction intégrable. Alors:

  1. 4.

    yf(x,y) est une fonction intégrable (sur Ω2) pour presque tout xΩ1, et xΩ2f(x,y)𝑑μ2(y) est une fonction intégrable (sur Ω1).

  2. 5.

    xf(x,y) est une fonction intégrable (sur Ω1) pour presque tout yΩ2, et yΩ1f(x,y)𝑑μ1(x) est une fonction intégrable (sur Ω2)

  3. 6.

    On a

    Ω1×Ω2f(x,y)𝑑μ1μ2(x,y)=Ω1(Ω2f(x,y)𝑑μ2(y))𝑑μ1(x)=Ω2(Ω1f(x,y)𝑑μ1(x))𝑑μ2(y).
Exercice 5.2.

Soit f,g des fonctions mesurables positives sur , on définit la convolution de f,g par:

fg(x)=f(xy)g(y)𝑑λ(y)[0,].

On rappelle que

f1=|f(x)|𝑑λ(x).
  1. 7.

    Montrer que fg est mesurable et que

    fg1=f1g1.
  2. 8.

    Montrer que la définition de fg s’étend pour presque tout x au f,gL1(,dλ) et que fgL1(,dλ).

  3. 9.

    Montrer que pour f,g,h toutes mesurables positives ou toutes intégrables, alors

    f(gh)=(fg)h.