1 Tribus, fonctions mesurables et mesures
1.1 Tribus
Vous avez l’habitude de parler d’évènement d’un espace de probabilité et de considérer la famille des évènements d’un tel espace. Souvent (pour les probabilités discrètes), on peut prendre , l’ensemble de toutes les parties de , mais cela ne sera pas possible pour généraliser l’intégrale de Riemann, on ne pourra pas définir l’intégrale de n’importe quel ensemble. La définition suivante retient donc les propriétés essentielles de la famille des évènements que l’on veut pour définir une probabilité sur une telle famille.
Définition 4.2.
Une tribu (ou -algèbre) sur est une famille de partie de , soit telle que :
-
9.
-
10.
Si alors .
-
11.
Pour toute suite infinie (dénombrable) de parties de , alors leur union est aussi dans la tribu .
Un ensembe est appelée partie -mesurable ou simplement mesurable.
Un espace mesurable est une paire formée d’un ensemble et d’une tribu sur Les enembles sont appelés ensembles mesurables (pour la tribu ou -mesurables).
Le résultat suivant est assez évident
Lemme 4.2.
Pour toute suite finie de , alors
Pour toute suite infinie (dénombrable, resp. finie) (resp. ) de parties de , alors leur intersection (resp. ).
Démonstration :
Pour le premier, il suffit de prolonger la suite en pour et alors
Pour l’intersection, il suffit de combiner union et complémentaire, par exemple dans le cas dénombrable: . □
Remarque 4.2.
On verra au chapitre suivant la notion plus élémentaire d’algèbre de parties (ou clan) où l’on demande seulement la stabilité par union finie, mais elle ne suffira pas pour la construction de l’intégrale. Il faut comparer la notion de tribu à celle de topologie de la remarque 2.3, qui était l’axiomatisation des parties ouvertes d’un espace métrique. Comme une topologie, une tribu est stable par intersection finie, mais même plus elle est stable par intersection dénombrable. Mais par contre, elle n’est pas stable par union quelconque, mais seulement par union dénombrable. Donc aucune des notions n’est plus générale que l’autre. Enfin, la nouveauté est la stabilité par complémentaire, ou autrement dit par toutes les opérations logiques de bases sur les ensembles (complémentaire, intersection et union binaires), et c’est la clef pour son application en probabilité (on veut aussi que les évènements soient stables par toutes les opérations logiques). On va cependant traiter dans beaucoup d’aspect la notion de tribu comme la famille des ouverts d’un espace métrique (ou plus généralement topologique).
1.2 Mesure et Probabilité sur une tribu
L’intégation va dépendre d’un objet de base qui permet la “mesure du volume” (ou en physique la “mesure de la masse” ou d’autres grandeurs extensives) et qui va généraliser la notion de probabilité.
Définition 4.3 (Définition d’une mesure).
Soit un espace mesurable.
On appelle mesure (positive) est une application ayant les propriétés suivantes :
-
12.
-
13.
(-additivité) Pour toute suite au plus dénombrable 11 1 c’est à dire soit et dans ce cas , soit soit et dans ce cas est la somme de la série, finie ou d’éléments de deux à deux disjoints,
Une mesure de probabilité est une mesure positive vérifiant en plus . Un espace mesuré (resp. de probabilité) est un triplet (resp. ) formée d’une mesure positive (resp. une mesure de probabilité ) sur un espace mesurable .
Une mesure a des propriétés très similaires à celle d’une probabilité dont vous avez l’habitude (exo).
Proposition 4.3.
-
i)
Si alors ( est croissante).
-
ii)
Pour toute suite au plus dénombrable , ( est sous-additive).
-
iii)
Si est une suite croissante,
-
iv)
Si est une suite décroissante avec ,
-
v)
Si est finie: .
1.3 Ensembles -négligeables
Définition 4.4.
Soit un espace mesuré, un ensemble est -négligeable si il existe contenant et avec .
Attention, n’est par forcément mesurable donc on ne peut PAS déduire . Mais la seule extension possible, si devenait mesurable, serait la valeur .
Lemme 4.4.
Une union au plus dénombrable d’ensembles -négligeables est -négligeable.
Démonstration :
Si est -négligeable, alors il existe une suite avec et , donc
□
Exercice 4.2.
Montrer que le seul ensemble -négligeable pour la mesure de comptage est l’ensemble vide.
Définition 4.5.
Une propriété des points est dite vraie presque partout (par rapport à , ou -presque partout, ou -.p.p) si est -négligeable. Autrement dit, si il existe avec telle que est vraie sur .
Exercice 4.3.
Montrer que l’indicatrice de est nulle -p.p.
Un ensemble peut donc être dense et -négligeable.
1.4 Exemples de tribus
Exemple 4.1.
est une tribu (appelée tribu discrète) et est aussi une tribu (appelée tribu grossière).
Tribus engendrés par une famille d’ensembles
En pratique, on n’a pas besoin de connaître en détail, tous les éléments contenus dans une tribu, il suffit de savoir qu’on a assez d’élements voulus (les générateurs de la tribu). Ceci est permis par le lemme suivant.
Lemme 4.5.
Si est une famille de tribus, alors est une tribu. On peut donc parler de la plus petite tribu contenant une famille , qui est l’intersection de toutes les tribus contenant , elle est notée et appelée la tribu engendrée par .
Démonstration :
C’est une conséquence directe de la forme de la définition. pour tout , donc .
De plus, si , alors pour tout , donc comme est une tribu, pour chaque et donc .
Enfin, si pour chaque , , alors pour tout , donc comme est une tribu, pour chaque et donc . □
Exemple 4.2.
Si , la tribu engendrée par est
Exemple 4.3.
Si forment une partition (c’est à dire sont 2 à 2 disjoints et d’union ), la tribu engendrée
Définition 4.6.
Pour un espace métrique dont est la topologie des ouverts, on appelle tribu borélienne sur , notée la tribu engendrée par les ouverts de .
Le résultat suivant est montré en annexe C en section 2.2.
Lemme 4.6.
Sur , la tribu borélienne a le système de générateurs:
A partir de là, on obtiendra en TD les autres générateurs usuels.
Lemme 4.7 (cf. TD).
Sur , la tribu borélienne a les différents systèmes de générateurs:
Tribu engendrée par une fonction
Lemme 4.8.
Soit une fonction, est une tribu sur . On l’appelle tribu engendrée par .
Démonstration :
C’est essentiellement une application des rappels sur l’image réciproque de fonctions (1.1). D’abord , . Pour (resp, ):
□
1.5 Exemples de mesures
Exemple 4.4.
Sur tout ensemble , on définit sur , la mesure suivante (dite de comptage)
Exemple 4.5.
Sur tout ensemble dénombrable , pour on définit sur :
C’est une mesure sur . Une fois connue l’intégration pour la mesure de comptage (ou de façon équivalente si on connaît la notion de famille sommable, on pourra généraliser cet exemple au cas dénombrable)
Enfin, l’exemple fondamental est le théorème donnant l’existence de la mesure de Lebesgue (admis)
Théorème 4.9 (définissant l’intégrale de Lebesgue).
(admis) Il existe une unique mesure sur invariante par translation22 2 au sens ou pour tout , , si on note , alors telle que
Cette mesure est appelée mesure de Lebesgue sur et notée et elle vérifie pour :
Proposition 4.10 (définissant la mesure image).
Soit une fonction et un espace mesuré alors la formule for est une mesure sur , appelée mesure image de par .
Démonstration :
Pour voir que est une mesure sur , il faut noter . Puis pour la -additivité, pour deux à deux disjoints avec au plus dénombrable, on a:
vu que les sont aussi deux à deux disjoints par (1.1), on a pu utilisé à l’avant-dernière égalité la -additivité de .
□
1.6 Fonctions mesurables
Il nous reste à spécifier les fonctions qu’on va pouvoir intégrer. Il faut lire la définition suivante comme l’analogue de la définition topologique de la continuité (proposition 2.22)
Définition 4.7.
Une fonction entre espaces mesurables est mesurable si c’est à dire si pour tout , . Si , on appelle fonction borélienne une fonction mesurable
On déduit immédiatement de la définition comme le corollaire 4.11:
Lemme 4.11 (Stabilité par composition de la mesurabilité).
Si et sont mesurables, alors, est mesurable.
Démonstration :
Pour tout ensemble mesurable , est mesurable de par mesurabilité de , puis est mesurable de par mesurabilité de , mais . Comme c’est vrai pour tout ensemble mesurable , on déduit de la définition précédente est mesurable. □
Comme en probabilité, l’intérêt principal de la notion de mesurabilité est de permettre de définir la notion de mesure image (analogue de la loi d’une variable aléatoire).
Proposition 4.12.
Soit une fonction, la tribu engendrée par du lemme 4.8 est la plus petite tribu rendant mesurable. Autrement dit: Si est une tribu, est mesurable si et seulement si .
Démonstration :
On a vu au lemme 4.8 que est une tribu. est mesurable par définition, car pour tout , on a par définition de , et cela veut dire est mesurable par définition de la mesurabilité. L’équivalence est mesurable si et seulement si vient aussi directement des deux mêmes définitions. L’inclusion dit justement que est plus petite (pour l’inclusion) que toute tribu rendant mesurable. □
Exemple 4.6.
Si , la fonction indicatrice est mesurable, car par l’exemple 4.2 et donc par la définition d’une tribu.
En pratique, on a besoin d’une description en terme de parties génératrices:
Lemme 4.13.
Une fonction , vers un espace mesurable engendré par une famille , est mesurable si et seulement si c’est à dire si pour tout , .
Démonstration :
Si mesurable, vu que , le fait que est une conséquence directe de la définition. Le contenu du lemme est donc la réciproque.
On introduit une fammille (qui va se révéler être la plus grande tribu de rendant mesurable, la preuve est donc très similaire à celle sur ):
Par hypothèse . Vérifions que est une tribu (par la définition):
-
‣
car
-
‣
Si , alors car est une tribu donc
-
‣
Si , , alors car est une tribu donc
En conséquence, est une tribu qui contient , donc ce qui dit exactement: soit la définition de mesurable. □
Corollaire 4.14.
Une fonction vers la tribu borélienne d’un espace métrique est mesurable, si et seulement si pour tout ouvert (resp. tout fermé ) on a (resp. ). En particulier, si pour un espace métrique , alors, toute fonction continue est borélienne.
Démonstration :
Le premier résultat est une conséquence directe du lemme vu que . Par la proposition 2.22, est ouvert (resp. est fermé) donc dans pour tout ouvert de , on déduit que la continuité implique la mesurabilité. □
En composant, avec les produits et sommes qui sont des applications continues, on obtient les mêmes stabilités algébriques que pour les fonctions continues:
Corollaire 4.15.
Les fonctions mesurables sont stables par combinaisons linéaires, produits, fractions rationnelles à dénominateur non nulle, passage à l’exponentielle (etc.)
On tire de même immédiatement des lemmes 4.6 et 4.7:
Corollaire 4.16.
Une fonction est mesurable si et seulement si l’une des assertions suivantes est vérifiée:
-
14.
Pour tout ,
-
15.
Pour tout ,
-
16.
Pour tout ,
-
17.
Pour tout ,
-
18.
Pour tout , sont toutes mesurables.
Corollaire 4.17.
Une fonction (à valeur dans l’espace métrique de l’exemple 2.5) est mesurable si et seulement si les trois assertions suivantes sont vérifiées:
-
19.
-
20.
-
21.
Pour tout ,
On renvoie aussi à l’annexe section 3 pour le résultat important suivant
Théorème 4.18.
Les constructions suivantes sont mesurables:
-
22.
Un supremum d’une suite de fonctions mesurables
-
23.
La d’une suite de fonctions mesurables
-
24.
Une limite simple d’une suite de fonctions mesurables
1.7 Unicité des mesures -finies
Définition 4.8.
Soit un espace mesuré. On dit que est -fini s’il existe une suite de parties mesurables telle que pour tout , et .
Cette hypothèse est par exemple vérifiée quand (donc en particulier quand est une mesure de probabilité), quand muni de la mesure de comptage, ou quand muni de la mesure de Lebesgue.
On renvoie à l’annexe C en section 1.3 pour une preuve d’un corollaire très classique au lemme de classe monotone pour les mesures dans le cas des mesures -finies.
Corollaire 4.19 (au lemme de classe monotone).
Soient et des mesures sur un espace mesurable . Soit une famille stable par intersection finie qui engendre . Si et coïncident sur (i.e. ) et si il existe une suite de parties telle que et alors et sont égales (i.e. ).