2 Définitions et propriétés élémentaires des espaces Lp(Ω,μ)

On définit les espaces:

p(Ω,𝒯,μ;𝕂)={f:Ω𝕂mesurable||f|pdμ<},

pour p[1,[. Alors

fp=(𝑑μ|f|p)1/p.

n’est pas une norme (mais une seminorme sur p(Ω,𝒯,μ) car si fp=0 alors f est seulement nulle presque partout. On considère donc l’espace des classes d’équivalences à égalité presque partout près de fonctions f˙ et l’espace de Lebesgue :

Définition 6.2.
Lp(Ω,𝒯,μ;𝕂)={f˙;f:Ω𝕂mesurable et|f|p𝑑μ<},

pour p[1,[.

Comme pour le cas p=, on on note aussi plus brièvement

Lp(Ω;𝕂)=Lp(Ω,μ;𝕂)=Lp(Ω,𝒯,μ;𝕂)

et Lp(Ω)=Lp(Ω;), si il n’y a pas de confusion possible.

Par la suite, on identifie f à f˙ dans ce contexte, on répète que les égalités sont des égalités μp.p..

Montrons que ||.||p est une norme sur Lp(Ω,𝒯,μ). La séparation et l’homogénéité sont maintenant évidentes. On rappelle l’inégalité de Hölder d’abord dans le cas le plus simple

Proposition 6.3.

Si f, g sont mesurables, fp<+ et g<+, alors fgLp(Ω,𝒯,μ;𝕂) et fgpfpg.

Démonstration : 

Il suffit de noter que, μ-presque partout, on a |g(x)|g, et donc |f(x)g(x)|p|f(x)|pgp. En intégrant cette inégalité, on obtient bien

fgpp=Ω|f(x)g(x)|p𝑑μΩ|f(x)|pgp𝑑μ=fppgp.

La version générale est la suivante

Lemme 6.4 (inégalité de Hölder).

Si p,q[1,[ tels que 1/p+1/q=1/r1, fLp(Ω,𝒯,μ;𝕂),gLq(Ω,𝒯,μ;𝕂) alors fgLr(Ω,𝒯,μ;𝕂) et

fgrfpgq.
Démonstration : 

En remplaçant f,g par |f|r,|g|r on se ramène au cas r=1.

Par hypothèse dans le cas r=1, 1<p<, on remarque que par concavité du logarithme, on a pour a,b>0

log(ap/p+bq/q)log(ap)/p+log(bq)/q=log(ab).

Donc on obtient en exponentiant (et en vérifiant directement les cas d’annulations), l’inégalité d’Young:

|f(x)g(x)||f(x)|pp+|g(x)|qq.

Donc en intégrant, on obtient fgL1 et appliquant à λf, λ>0:

fg1λp1pfpp+λ1qgqq.

Comme le cas d’annulation fp=0 ou gq=0 sont évidents (car alors fg=0 μp.p.), on conclut en supposant fp0,gq0 et en prenant la valeur de λ donnant le minimum λ=fp1gqq/p.   □

Une conséquence importante est l’exercice suivant:

Exercice 6.2.

Si μ est une mesure finie pour 1pq, montrer que:

L(Ω,𝒯,μ;𝕂)Lq(Ω,𝒯,μ;𝕂)Lp(Ω,𝒯,μ;𝕂)L1(Ω,𝒯,μ;𝕂).

On en déduit l’inégalité triangulaire:

Théorème 6.5 (Inégalité de Minkowski).

Soient p[1,+] et f,gLp(Ω). Alors f+gLp(Ω) et f+gpfp+gp.

Démonstration : 

On a déjà traité le cas p=+, et le cas p=1 est simplement l’inégalité triangulaire habituelle. Supposons donc p]1,+[ et f,gLp(Ω).

Commençons par montrer que f+gp<+. Comme xxp est convexe et croissante, on a pour tout x que

(|12f(x)+12g(x)|)p(|12f(x)|+|12g(x)|)p12|f(x)|p+12|g(x)|p.

En intégrant cette inégalité, on obtient que

12pf+gpp12(fpp+gpp)).

Ceci nous prouve que f+gp<+.

Maintenant, notons q=pp1 l’exposant conjugué de p. Ci-dessous, on va utiliser l’inégalité de Hölder, et le fait que

|f+g|p1q=(Ω|f+g|(p1)q𝑑μ)1q=(Ω|f+g|p)11p=f+gpp1.

Alors on a

f+gpp=Ω|f+g|p𝑑μΩ(|f|+|g|)|f+g|p1𝑑μ=Ω|f||f+g|p1𝑑μ+Ω|g||f+g|p1𝑑μfp|f+g|p1q+gp|f+g|p1q=(fp+gp)|f+g|p1q=(fp+gp)f+gpp1

Si jamais f+gp=0 on n’a rien à démontrer; sinon, en divisant des deux côtés par f+gpp1 on obtient finalement f+gpfp+gp.   □

Exercice 6.3.

Soit (Ω,𝒯,μ) un espace mesure σ-fini. Soit f0 une fonction mesurable positive, alors pour p]0,[

fp𝑑μ=0𝑑tptp1μ({ω:f(ω)>t}).

On rappelle d’abord la version Lp du théorème de convergence dominée.

Théorème 6.6 (Théorème de convergence dominée Lp).

Soit p[1,+[. Soit (Ω,μ) un espace mesuré, et fn une suite de fonctions mesurables convergeant μ-presque partout vers f, et vérifiant la domination |fn|g avec gLp(Ω,μ). Alors, fn,fLp(Ω,μ) et fn converge vers f dans Lp(Ω,μ), c’est à dire.

limnfnfp=0.
Démonstration : 

On a |fnf|p0 μ-presque partout. De |fn|g on déduit que fn,inLp(Ω,μ;𝕂) en passant à la limite on obtient |f|g et donc fLp(Ω,μ;𝕂). De plus, on a la domination :

|fnf|p(|fn|+|f|)p(2g)p=2pgp

et comme gLp(Ω,μ) et positive, on déduit que gp=|g|p est μ-intégrable et sert donc de domination pour appliquer le théorème de convergence dominée usuelle qui donne le résultat:

fnfpp=Ω|fnf|p𝑑μnΩ0𝑑μ=0.

Théorème 6.7 (de Riesz-Fischer).

Soit (Ω,μ) un espace mesuré, les espaces Lp(Ω,μ,𝕂) pour p[1,] sont des espaces de Banach.

Démonstration : 

On vient de voir que Lp(Ω,μ,𝕂) est un espace vectoriel normé, et même la complétude dans le cas p=.

Il reste le cas p<. En décomposant en partie réelle et imaginaire, on peut supposer et donc on suppose 𝕂=.

Pour la complétude, on utilise la proposition 2.6. Soit un qui est absolument convergente, il faut montrer qu’elle converge dans Lp. Soit gk=n=1k|un|, gkpunp et |gk|p est croissante, donc par convergence monotone converge vers g avec gpunp. Donc |g|pL1 qui donne une domination pour |un|p et un est p.p. absolument convergente, donc a p.p. une limite et par convergence dominée, converge donc dans Lp. .  □

2.1 Résultats de convergences

En suivant le même raisonnement on obtient le résultat suivant:

Théorème 6.8.

Soient (Ω,𝒯,μ) un espace mesuré, p[1,+[, et (fn) une suite d’éléments de Lp(Ω) qui converge vers f dans (Lp(Ω),p). Alors il existe une suite extraite (fnk) telle que (fnk) tend vers f, μ-presque partout et dans Lp(Ω).

Démonstration : 

On extrait (fnk) telle que fnk+1fnkp1/2k. (c’est possible car la suite est de Cauchy dans Lp donc on prend nk telle que fqfnkp1/2k pour qnk.)

Donc on pose gn=k=1n|fnk+1fnk| qui est une suite croissante avec

gkpkfnk+1fnkpk=11/2k=1.

On déduit donc en appliquant le théorème de convergence monotone que gk a une limite g=k=1|fnk+1fnk| telle que gp1. On l’utilise maintenant comme condition de domination. Donc k(fnk+1fnk) est absolument convergente sur A={ω:g(ω)<} et on a μ(Ac)=0, vu gp<. Donc par série télescopique (fnk(ω)) converge pour ωA. (et comme suite extraite elle converge aussi dans Lp mais en fait elle est dominée par |fn0|+gLp et converge aussi par convergence dominée).   □

Proposition 6.9.

Soient (Ω,𝒯,μ) un espace de probabilité et f:Ω[0,+] une fonction mesurable. Alors on a

f=limp+fp.
Démonstration : 

Commençons par remarquer que l’on a toujours

fp=(Ω|f|p𝑑μ)1p(fpμ(Ω))1p=f.

Par conséquent, si fp+ quand p+ alors f=+. Pour voir la réciproque, notons que pour t<f fixé, l’ensemble At={xΩ:|f(x)|>t} est de mesure strictement positive, par conséquent

fp(tpμ(At))1p=tμ(At)1pt quand p+.

Ceci montre que si f=+ alors fp tend vers +; mais aussi que, si f<+ on a pour tout ε>0 que pour p suffisamment grand fεfpf.   □

2.2 Résultats de densité

On rappelle le résultat suivant qui se déduit de la construction de l’intégrale (cf. lemme 4.21)

Lemme 6.10.

Soit (Ω,μ,𝒯) un espace σ-fini. L’ensemble S des fonctions étagées intégrables est dense dans tous les Lp(Ω,μ,𝒯), 1p<. En particulier, L1(Ω,μ,𝒯)L(Ω,μ,𝒯) est dense dans Lp(Ω,μ,𝒯) pour 1p<.

Lemme 6.11.

Soit (Ω,μ,𝒯) un espace σ-fini avec 𝒯=σ() pour une famille stable par intersection finie et de mesure finie pour μ, et contenant une suite An avec μ(An)< et Ω=nAn. Alors l’espace vectoriel E=Vect{1A,A} est dense dans tous les Lp(Ω,μ,𝒯), 1p<. En particulier, si est dénombrable, alors Lp(Ω,μ,𝒯), 1p< est séparable.

En général L(Ω,μ,𝒯) n’est PAS séparable, sauf si Ω est un ensemble fini, par exemple () n’est pas séparable (c’est un exercice plus dur de niveau M1).

Démonstration : 

Soit An avec μ(An)< et Ω=nAn.

Soit :={A𝒯:n,1AAnE¯Lp}. Clairement . On va montrer que est une classe monotone:

  • Ω car 1AnE

  • Si AB et A,B, on a 1(BA)An=1BAn1AAn par le TD 1 donc dans l’espace vectoriel E¯Lp.

  • Si Bm suite croissante d’union B alors 1BmAn1BAn partout par le TD 1, Or on a domination par 1AnLp(Ω,μ,𝒯) donc par convergence dominée 1BmAn1BAn dans Lp(Ω,μ,𝒯) et donc 1BAnE¯Lp

Le lemme de classe monotone implique 𝒯(). Donc si B𝒯() est de mesure finie, on a 1BAnE¯Lp et par la même application du théorème de convergence dominée (par 1B cette fois) on déduit 1BE¯Lp. Donc E¯Lp contient toute fonction étagée intégrable et le résultat précédent conclut. La séparabilité vient de la densité de l’ensemble dénombrable Vect(1A,A).   □

Le support d’une fonction continue f est le fermé supp(f)=f1({0})c¯. Un fonction sur n est donc à support compact quand elle est nulle en dehors d’un ensemble borné. On note Cc0(Ω) est l’ensemble des fonctions à support compact sur un ouvert Ω.

Théorème 6.12.

Soit Ωn un ouvert et λ la mesure de Lebesgue sur la tribu borélienne (Ω)=(n)Ω (tribu induite sur Ω). Alors l’ensemble des fonctions continues à support compact Cc0(Ω) est dense dans Lp(Ω,(Ω),λ) pour 1p<, qui est séparable.

Démonstration : 

Par le lemme précédent avec ={A=i=1n[ai,bi],aibi} l’ensemble des pavés, il suffit de voir que les 1A sont approchés par des fonctions continues à support compact pour A=i=1n[ai,bi]. Par produit de fonctions (de variables différentes), cela se ramène au cas n=1. Soit f=1[a,b] et fn(t)=1 si t[a,b], fn(t)=1max(n(tb),1) si t>b, fn(t)=1max(n(at),1) si t<a. Alors il est facile de voir que (fn)n1 est une suite dans Cc0(Ω) qui converge ponctuellement vers f (exo). Elle est dominée par 1[a1,b+1] qui est dans Lp(Ω,(Ω),λ) pour 1p< donc par convergence dominée, fnfp0. Donc on peut appliquer le lemme précédent et conclure.   □