5 Théorème de Radon-Nikodym et Théorème de Dunford-Pettis (Niveau M1-M2)

Ce complément pourrait pour l’essentiel être ajouté comme application du théorème de Riesz ou du théorème de dualité des espaces Lp. Nous expliquons un théorème de théorie de la mesure qui permet de dire quand une mesure provient d’une densité dans L1(Ω,μ). On en déduit une application à un théorème de compacité qui est utile pour la preuve du cas uniformément continue du théorème de convergence des martingale dans L1, le théorème de Dunford-Pettis E.9.

Définition E.3.

Si μ,ν sont des mesures de probabilités sur (Ω,𝒯), on dit que μ est absolument continue par rapport à ν et on note μν si pour tout A𝒯, ν(A)=0 implique que μ(A)=0

Définition E.4.

Si μ,ν sont des mesures de probabilités sur (Ω,𝒯), on dit que μ admet une densité hL1(Ω,ν) par rapport à ν et on note h=dμdν , si h0 p.s. et pour tout A𝒯 :

Ω1Ah𝑑ν=μ(A).

Les définitions s’étendent aux mesures σ-finies, mais on considère seulement ici le cas de probabilités.

Théorème E.8 (de Radon-Nikodym).

Pour toutes mesures de probabilités μ,ν sur (Ω,𝒯), il y a équivalence entre μν et l’existence d’une densité h=dμdνL1(Ω,ν) de μ par rapport à ν, et la densité est alors unique ν-p.s.

Démonstration : 

Si on a deux densités h,k, Ω1A(hk)𝑑ν=0 pour tout A 𝒯 mesurable, donc par la construction de l’intégrale aussi Ωfh𝑑ν=Ωfk𝑑ν d’abord pour f mesurable positive (par TCM) puis pour f mesurable bornée donc par dualité hk=0 dans L1(Ω,ν) donc ν-p.s.

De plus, si on a existence d’une densité et si ν(A)=0, par TCM, Ω1Ah=limnΩ1A(hn)=0 car |Ω1A(hn)𝑑ν|||(hn)|21A2nν(A)1/2=0 par Cauchy-Schwartz. Donc μ(A)=0 c’est à dire on a montré μν.

La partie difficile est l’existence d’une densité si μν. On va utiliser le théorème de représentation de Riesz (ou sa variante pour la dualité de L1, le théorème D.8). Soit μα=μ+αν avec α>0. L’idée est simple on s’attend à avoir une densité dμαdν=α+h strictement positive et donc dνdμα=1α+h bornée par 1/α donc dans L2 ensuite α(1αα+h)=αhα+hαh et on devrait pouvoir retrouver h ainsi.

Appliquons cette idée, si fL1(Ω,dμα), on a

|f|𝑑ν=1α|f|𝑑αν1α|f|𝑑μα

Donc fL1(Ω,dν) et ff𝑑ν définit une forme linéaire continue sur L1(Ω,dμα), donc par le théorème D.8, il existe hαL(Ω,dμα) telle que pour tout fL1(Ω,dμα) on a

f𝑑ν=fhα𝑑μα.

Et de plus, on a hαL(μα)1/α. Si f=1{hα<0}, on obtient max(0,hα)𝑑μα0 donc vaut 0, donc

ν({hα<0})1αμα({hα<0})=0

donc hα0, ν p.s.

On montre maintenant la monotonie attendue pour hα (si on veut qu’elle soit égale à un 1α+h) Si β>α, on a pour f positive bornée en utilisant μα(g)μβ(g) pour g positive ν-p.s,

fhβ𝑑μβ=f𝑑ν=fhα𝑑μαfhα𝑑μβ

car fhα posivite ν-p.s. par le résultat précédent, donc comme c’est valable pour tout f0, on a hβhαμβ-p.s. donc ν-p.s.

Finalement, on a l’identité

f𝑑μ=f𝑑μαfα𝑑ν=f(1αhα)𝑑μα=fα(1αhα)𝑑ν+f(1αhα)𝑑μ.

Par hαL(μα)1/α. on a 1αhα0 μα-p.s. donc ν-p.s. En raisonnant comme avant on obtient (1αhα)(1βhβ) ν-p.s. Donc, par l’égalité précédente, après simplification de f (et toujours pour f positive en utilisant la croissance de ααhα ν-p.s. par ce qu’on vient de voir donc μ-p.s. par l’hypothèse μν) , on obtient

fα(1αhα)𝑑ν=fαhα𝑑μfβhβ𝑑μ=fβ(1βhβ)𝑑ν

soit α(1αhα)β(1βhβ), ν-p.s. donc converge vers un h en croissant et par convergence monotone et l’égalité avant on obtient

fh𝑑ν=limαfα(1αhα)𝑑ν=limαf𝑑μf(1αhα)𝑑μf𝑑μ.

Donc pour f=1 on trouve hL1(Ω,dν). Or par la monotonie de la limite définissant h, on a

(1αhα)=α(1αhα)αhαα0

ν-p.s. puisque h est fini ν-p.s. donc en utilisant encore l’hypothèse, aussi μ-p.s. Comme on a vu la monotonie en α par convergence monotone, on déduit f(1αhα)𝑑μ0 et donc finalement l’égalité attendue qui conclut la preuve :

fh𝑑ν=limαf𝑑μf(1αhα)𝑑μ=f𝑑μ.

On peut maintenant rappeler et prouver le théorème E.9 :

Théorème E.9 (Dunford-Pettis).

Soit une suite (Xn) dans L1(Ω,𝒯,P) avec 𝒯 une tribu dénombrablement engendrée (donc 𝒯=𝒯() avec dénombrable, en particulier 𝒯=(n)). On a l’équivalence entre

  1. 14.

    (Xn) est uniformément intégrable

  2. 15.

    (Xn) admet une sous-suite (Xnk) ayant pour limite faible XL1, c’est-à-dire :

    fL(Ω),𝐄((XnkX)f)0.
  3. 16.

    (Xn) est bornée dans L1 et pour tout ϵ>0, il existe η>0 tel que si A𝒯 vérifie P(A)η alors pour tout n, 𝐄(1A|Xn|)ϵ.

C’est surtout l’équivalence entre 1. et 2. qui est difficile et porte le nom de théorème de Dunford-Pettis. L’hypothèse “dénombrablement engendrée” n’est pas nécessaire (cf. Delacherie-Meyer Probabilités et Potentiel Vol 1 p 27) mais nous la faisons pour simplifier.

Démonstration : 

On commence par l’équivalence entre 1 et 3. Supposons 3. et fixons ϵ>0, η t.q. P(A)η implique 𝐄(1A|Xn|)ϵ. Par l’inégalité de Markov P(|Xn|c)supn𝐄(|Xn|)cη dès que csupn𝐄(|Xn|)η, en appliquant alors à A={|Xn|c}, on déduit supn𝐄(1{|Xn|c}|Xn|)ϵ. Et donc limc𝐄(1{|Xn|c}|Xn|)=0 qui est l’uniforme intégrabilité recherchée.

Réciproquement, pour ϵ<0 fixé, on prend c>0 tel que supn𝐄(1{|Xn|c}|Xn|)ϵ/2, (en particulier

𝐄(|Xn|)=𝐄(1{|Xn|c}|Xn|)+𝐄(1{|Xn|<c}|Xn|)c+ϵ/2

donc Xn et bornée dans L1, de sorte que

𝐄(1A|Xn|)=𝐄(1A1{|Xn|c}|Xn|)+𝐄(1A1{|Xn|<c}|Xn|)𝐄(1{|Xn|c}|Xn|)+𝐄(1A1{|Xn|<c}c)ϵ/2+P(A)c

qui est borné par ϵ dès que P(A)η=ϵ/2c qui convient.

On suppose maintenant 3 et on montre 2. Si 𝒯=σ(An,n), 𝒜 l’algèbre engendré par les An c’est à dire les unions finis d’intersections finis de An,Anc (qui n’est en général pas une σ algèbres) qui est stable par, complémentaire union finie et intersection finie. Il est facile de voir que 𝒜 est dénombrable.

En séparant les parties positives,négatives, on peut supposer Xn0 et par extraction diagonale, on trouve nk telle que 𝐄[Xnk1A]μ(A) converge pour tout A𝒜.

Il est facile de voir que μ(Ω)< vu que (Xn) est bornée dans L1 (par 3.) μ est additive sur les unions disjointes finies (par additivité de 1𝐄[Xnk1A] qui est une mesure et passage à la limite). De plus, par 3., soit ϵ positive, on a un η tel que P(A)η implique 𝐄[Xnk1A]ϵ donc μ(A)ϵ.

En particulier si P(A)=0, on a μ(A)=0.

Un résultat classique de théorie de la mesure dit que μ s’étend de façon unique sur σ(𝒜) en une mesure μ (cf. par exemple Barbe-Ledoux [1, Thm 1.49]). Il est facile de voir que l’on a encore si P(A)=0, on a μ(A)=0. Donc, μP et par le théorème de Radom-Nikodym, il existe XL1 telle que 𝐄(X1A)=μ(A)=limninfty𝐄[Xnk1A]. Il en est donc de même pour toute fonction étagée fm (resp. gm) d’une suite décroissante (resp. croissante) convergeant vers f mesurable positive bornée

D’où on a les deux inégalités donnant l’égalité

lim supn𝐄[Xnkf]limn𝐄[Xnkfm]=𝐄(Xfm)𝐄(Xf)
lim infn𝐄[Xnkf]limn𝐄[Xnkgm]=𝐄(Xgm)𝐄(Xf).

On a donc obtenu 2.

On laisse en exercice l’implication de 3. vers 1. que l’on n’a pas utilisé dans le cours.