3 Dualité des espaces de Lebesgue Lp(Ω) (Niveau M1)

On rappelle que (Ω,μ) est un espace mesuré σ-fini. On se souvient que pour p[1,], q tel que 1/p+1/q=1 la proposition D.1 donne pour g mesurable :

||g||q=sup{|fgdμ|;||f||p1,fL1(Ω,μ)L(Ω,μ),fgL1(Ω,μ)}.

On a même le théorème suivant (on notera que p< contrairement au cas de la formule pour la norme ):

Théorème D.8 (de représentation de Riesz Lp).

Soit l’application définie grâce à l’inégalité de Hölder:

I:fLq(Ω,μ)(gLp(Ω,μ)fg𝑑μ)

Alors I:Lq(Ω,μ)(Lp(Ω,μ)), réalise une isométrie SURJECTIVE pour p[1,[ et q exposant conjugué c’est-à-dire tel que 1/p+1/q=1.

Attention le cas p= est EXCLU… L(Ω) est un espace très gros de mesures sur un espace stonien compact X tel que L(Ω)=C0(X).

Démonstration : 

Une première preuve classique utilise le théorème de Radon-Nikodym qui est au programme du cours de Th de la mesure (cf. par exemple le cours de Probabilités de Philippe Barbe et Michel Ledoux [1]). Il existe aussi une preuve par l’uniforme convexité dans le livre d’Haim Brezis d’analyse fonctionnelle pour p1 et avec une preuve directe n’utilisant que le cas p=2 (cas Hilbert simple) pour le cas p=1. On donne ici une méthode d’analyse fonctionnelle plus abstraite.

On a déjà montré l’isométrie, il reste à voir la surjectivité.

On fixe An avec μ(An)< et nAn=Ω, An croissant.

Le cas p=2 a été traité par le théorème de représentation de Riesz.

(1) cas p=1Soit ϕ(L1(Ω,μ)) avec ϕ1. D’abord on définit T application linéaire continue sur L2(Ω) (en fait à valeur dans son dual identifié à lui même) par :

Tx,y=ϕ(x¯y)

vu que x¯yL1(Ω) par Hölder et on a

||T||:=sup{||Tx||2,||x||21}=sup{|Tx,y|,||x||21,||y||21}||ϕ||L1(Ω).

La première égalité est la définition de la norme des applications linéaires bornées, la deuxième est le résultat de dualité du cas p=2, la troisième utilise Hölder et la définition de la norme du dual. Notons que si zL(Ω),

Tzx,y=ϕ(z¯x¯y)=Tx,z¯y=zTx,y

la deuxième relation en utilisant la commutativité des espaces de fonctions soit la relation z¯x¯y=x¯z¯y et la seconde la définition du produit scalaire Tx,z¯y=Tx¯z¯y𝑑μ. donc on déduit si mz est la multiplication par zL, Tmz=mzT. Montrons que T=mg pour gL. (on dit que cette algèbre est son propre commutant dans B(L2(Ω)), ou qu’elle est maximale commutative).

En effet, soit xn=T(1An)L2. On a T1 car ϕ1.

Pour gL avec g11,

|T(1)g𝑑μ|=|(|g|1/2T)(1)g|g|1/2𝑑μ|=|T(|g|1/2)g|g|1/2𝑑μ||g|1/22g|g|1/22=g11

où on a utilisé à la deuxième égalité la commutation avec m|g|1/2. On voit donc par la formule de la proposition D.1 que T(1An)1. Comme T(1Am)=T(1Am1An)=1AmT(1An) donc on définit g(x)=T(1An)(x) pour xAn de façon cohérente de sorte que g1An=T(1An) d’où g=supng1An1.

Et pour zLL1L2 T(z1An)=mg(z1An) donc par densité dans L2 T=mz. Enfin pour fL1(Ω) f=|f|1/2g avec gL2, on obtient

ϕ(f)=ϕ(|f|1/2g)=T(|f|1/2),g=z(|f|1/2),g=I(z¯)(|f|1/2g)=I(z¯)(f).

donc ϕ=I(z¯) d’où la surjectivité de I.

(2) cas p>1 μ(Ω)< utilisant les cas p=1,2. (On l’appliquera ensuite à Ω=An.) Après normalisation, on peut supposer μ(Ω)=1.

On commence par montrer que via I, Lp(Ω)L1(Ω). Si p2, c’est évident par l’inclusion L2(Ω)[Lp(Ω)] et par restriction et théorème de representation de Riesz, on obtient gL2(Ω)L1(Ω) tel que

ϕ|L2(Ω)(f)=g¯,f

Si p>2 pour xL, et ϕ(Lp),

|ϕ(x)|p|x|p𝑑μ|x|2xp2𝑑μx22xp2.

Par l’inégalité d’Young (cas particulier d’Holder utilisé dans sa preuve) |ab|aP/P+bQ/Q utilisé avec 1/P+1/Q=1,P=p/2,Q=p/(p2), a=x21/P/ϵ1/Q,b=(ϵx)1/Q, on obtient :

|ϕ(x)|ϵQx+1PϵP/Qx2.

En incluant {(x,x),x(L(Ω))}L(Ω)×L2(Ω) avec norme (x,y)=ϵQx+1PϵP/Qy2 on étend par Hahn Banach ϕ à L(Ω)×L2(Ω) donnant un élément de (ϕ1,ϕ2)L(Ω)×L2(Ω) avec ϕ1ϵ/Q,ϕ21PϵP/Q (car en calculant la norme duale on a max(Qϕ1/ϵ,PϵP/Qϕ2)1) Donc ||ϕ|L(Ω)J(ϕ2)||(L(Ω))=ϕ1(L(Ω))ϵ/Q et ϕ2L1(Ω). Or par le cas p=1, (L1(Ω))′′=L(Ω) et il contient L1(Ω) comme espace fermé isométriquement via J (comme tout espace de Banach est inclus isométriquement comme espace fermé dans son bidual). Comme le résultat précédent indique ϕL2(Ω)¯(L1(Ω))′′, on déduit ϕJ(L1(Ω)) comme voulu. On a donc une fonction g telle que pour tout fL(Ω)

ϕ(f)=Ωgf𝑑μ

Soit donc g l’image dans L1 de ϕ (on revient au cas général p]1,[). Or dans le cas d’un espace avec mesure finie, l’équation de la proposition D.1 donne :

||ϕ||(Lp)=sup{|ϕ(x)|,||x||p1,xL}=sup{|gxdμ|,||x||p1,xL}=||g||q

On déduit donc gLq comme on voulait et ϕ=T(g) (en étendant la relation depuisL(Ω) par densité dans Lp(Ω).

(3)cas 1<p< et μ σ-fini. Soit ϕ(Lp(Ω,μ)), il faut montrer qu’elle vient d’un élément de Lq(Ω,μ). On pose ϕn(f)=ϕ(f1An) pour fLp(An,μ)Lp(Ω,μ). Par le cas précédent, il existe gnLq(An,μ) telle que

fLp(An,μ),gnf𝑑μ=ϕ(f1An).

et

||gn||q=sup{|ϕ(f1An)|;||f||p1,fL(An,μ)}||ϕ||(Lp)<.

Or par unicité dans le cas (2) et vu les An croissant pour n>m, gn1Am=gm et donc |gn| est croissant et g=sup|gn| vérifie par convergence monotone gqϕ(Lp) , vu |gn||g| et comme gng p.s., on déduit par convergence dominée gngq0 et en passant à la limite gn=g1An.

Or f1Anf dans Lp et donc par continuité la relation ϕ(f1An)=T(g)(f1An) devient ϕ(f)=T(g)(f) pour tout fLp donc ϕ=T(g).