2 Premiers résultats de densité (niveau M1)

On rappelle qu’une fonction étagée intégrable sur (Ω,μ,𝒯) est une combinaison linéaire (finie) de fonctions indicatrices 1A avec μ(A)<.

Lemme D.2.

Soit (Ω,μ,𝒯) un espace σ-fini. L’ensemble S des fonctions étagées intégrables est dense dans tous les Lp(Ω,μ,𝒯), 1p<. En particulier, L1(Ω,μ,𝒯)L(Ω,μ,𝒯) est dense dans Lp(Ω,μ,𝒯) pour 1p<.

Démonstration : 

Cela vient de la construction de l’intégrale, et du fait que les fonctions étagées sont dans L1(Ω,μ,𝒯)L(Ω,μ,𝒯), mais rappelons une preuve. En décomposant en parties réelle et imaginaire puis parties positive et négative, on se ramène à approcher fLp avec f0. Si Ω=Anμ(An)<, on a f1Anfp0 par convergence dominée, donc on prend h=f1Am.

On prend

hn(x)=k=04nk2n1[k2n,k+12n[(h(x))=k=04nk2n1h1([k2n,k+12n[)(x)h(x)

Comme h mesurable, il est facile de voir que hS,

hhnph1h(x)2np+1h(x)2n1Amp12n

et le premier terme tend vers 0 par convergence dominée (par |h|p), le second car μ(Am)1/p<. Donc h puis f sont dans l’adhérence.

Pour obtenir un résultat de densité des fonctions continues, on a besoin d’un résultat de continuité sur un grand ensemble pour les fonctions mesurables. On a besoin d’une compatibilité entre théorie de la mesure et topologie qui fait l’objet de la définition suivante. L’essentiel est que la mesure de Lebesgue sur n est un exemple de mesure de Radon, ainsi que toutes les mesures à densité par rapport à la mesure de Lebesgue (et aussi les mesures discrètes).

Définition D.1.

Une mesure de Radon positive sur X localement compact est une mesure positive définie sur une tribu 𝒯 contenant la tribu borélienne et telle que :

  1. 1.

    μ(K)< pour K compact (on parle de mesure de Borel).

  2. 2.

    μ est extérieurement régulière au sens où pour tout E𝒯, on a :

    μ(E)=inf{μ(V)|EV,Vouvert}
  3. 3.

    μ vérifie pour tout E ouvert et E𝒯 avec μ(E)<, on a :

    μ(E)=sup{μ(K)|EK,Kcompact }
  4. 4.

    𝒯 est complète pour μ au sens où si E𝒯, AE et μ(E)=0 alors A𝒯.

On va utiliser deux lemmes topologiques (en fait reliés):

Théorème D.3 (de prolongement de Tietze).

(exo en section A) Soit X un espace métrique, F un fermé de X et f:F une fonction continue bornée par C, alors il existe une fonction g:X bornée par C et prolongeant f.

On rappelle qu’un espace topologique est dit localement compact si tout point a un voisinage (d’adhérence) compact. [Rmq: pour nous, un voisinage d’un point n’est pas forcément ouvert, c’est seulement un ensemble contenant un ouvert contenant le point] Par exemple c’est le cas de X=n !

Lemme D.4 (d’Urysohn).

Si X est un espace métrique localement compact, V un ouvert contenant un compact K, alors il existe f continue à support compact tel que 1Kf1V.

Démonstration : 

Pour tout xK, soit Ux voisinage ouvert d’adhérence compact inclus dans V (pour voir que l’adhérence peut être inclus dans V il suffit d’intersecter le voisinage avec {y:d(y,Vc)>ϵ/2} pour ϵ=d(x,Vc)). On recouvre K par un nombre fini de Ux, KU:=i=1nUxi et U¯=i=1nUxi¯ est compact et on trouve un ouvert d’adhérence compact W, VWU¯ et on pose F=WcK. On définit g:F par g=1K. Si xnF, xnxK nécessairement pour n grand xnU donc xnK donc g(xn)=g(x)=1. De même si xWc, pour n grand, xn(U¯)c, donc xnWc et g(xn)=g(x)=0. Donc g est continue sur F et s’étend en une fonction f:X continue par le théorème précédent et en centrant on a même, 0f1 (|f1/2|1/2). Donc le support de f est dans W¯ compact et 1Kf1W1V ce qui conclut.   □

Théorème D.5 (de Lusin).

Soit X un espace métrique localement compact. μ une mesure de Radon positive. Soit f une fonction complexe mesurable sur X s’annulant en dehors de A avec μ(A)<. Alors, pour tout ϵ>0, il existe g continue à support compact avec supxX|g(x)|supxX|f(x)| et telle que :

μ({x:f(x)g(x)})ϵ.
Démonstration : 

Cas A compact, 0f1. On pose

fn(x)=k=02nk2n1[k2n,k+12n[(f(x))fn+1(x)f(x).

Remarquons que tn:=fn+1(x)fn(x)=12n+1k=02n+11[2k+12n+1,2k+22n+1[(f(x))=12n+11Tn,(f1:=0) avec TnA de sorte que:

f(x)=n=1tn(x).

Comme dans la preuve du lemme d’Urysohn, il existe un ouvert AV avec V¯ compact, puis par régularité extérieure, on trouve Vn ouvert avecTnVnV et enfin par intérieure régularité sur les ensembles de mesures finies KnTn avec μ(VnKn)2n2ϵ. Par le lemme d’Urysohn, on trouve hn continue à support compact avec 1Knhn1Vn. On pose

g(x)=k=12n1hn(x).

Par convergence uniforme (car normale) de la série, g est continue, à support compact car inclus dans V¯. Enfin 2n1hn(x)=tn(x) sauf sur VnKn donc f=g sauf sur n(VnKn) qui est de mesure au plus ϵ

Cas A quelconque, 0f1. Par régularité, on prend AV ouvert, KV compact avec μ(AKc)μ(VKc)ϵ/2 et on applique à f1K (vu {f1Kf}AKc) le cas précédent en remplaçant ϵ par ϵ/2.

Cas général Soit Bn={x|f(x)|>n} de sorte que Bn=∅︀, comme μ(B1)< en utilisant le TCM sur 1B11Bn, μ(Bn)0, on applique à (11Bn)f en décomposant la fonction en somme de 4n fonctions à valeur [0,1] (4 pour décompositions en parties positives, négatives des parties imaginaires et réelles, et ces fonctions sont dans [0,n] d’où la décomposition en somme de n fonctions à valeurs [0,1]). Enfin pour avoir l’inégalité on remplace g par ϕg avec ϕ(x)=x,|x|R=supxX|f(x)| , ϕ(x)=Rx/|x|,|x|>R. On a g(x)=ϕg(x) pour tout x tel que f(x)=g(x), donc on n’augmente pas l’ensemble sur lequel f et g diffèrent.   □

Corollaire D.6.

Soit (X,μ,𝒯) un espace métrique localement compact avec μ mesure de Radon σ-finie. L’ensemble Cc(X) des fonctions continues à support compact est dense dans tous les Lp(X,μ,𝒯), 1p<. De plus si fLp(X,μ,𝒯) et fϕ=0, pour tout ϕCc(X) alors f=0p.p.

Démonstration : 

Par le lemme précédent, il suffit d’approcher les éléments de S. Par le théorème de Lusin D.5, pour chaque fS, ϵ>0, on a gCc(X) avec μ(gf)ϵ et sup|g|sup|f|=C donc fgp2Cμ(gf)1/p et cette quantité est arbitrairement petite. Pour le résultat d’annulation, si p>1, On utilise la densité dans Lq, q exposant conjugué, pour obtenir fg=0 pour gLq, d’où on déduit fp=0 par la proposition D.1. Si p=1, on remplace f par f|V avec V ouvert V¯ compact, qui couvrent X par locale compacité de sorte qu’on peut supposer μ(X)<. On peut supposer f réelle. Soit f1Cc(X) avec ff11ϵ, K1=f11([ϵ,[) et K1=f11(],ϵ]) sont compacts, on prolonge par le Théorème de Tietze D.3, uCc(X) valant ϵ sur Kϵ et soit K=K1K1. Donc

f11=Kf1u+XK|f1|Xf1u+2XK|f1|ϵ+Xfu+2μ(XK)ϵϵ+2μ(X)ϵ

car |f1|ϵ sur XK. Donc f12ϵ+2μ(X)ϵ pour tout ϵ>0 ce qui donne f=0.   □

Donnons une application.

Proposition D.7.

Soit 1p< et soit τhf(x):=f(x+h) pour h,xd,fLp(d). La translation τh:Lp(d)Lp(d) est isométrique et pour tout fLp(d) hτh(f) est continue de dLp(d).

Démonstration : 

L’isométrie est évidente par invariance de la mesure de Lebesgue par translation. Montrons que τhffph00. En effet pour ϵ>0, par densité du lemme D.6, on trouve f1Cc(d) avec f1fpϵ/3 donc comme τh est une isométrie: on obtient :

τhffpτhf1τhfp+τhf1f1p+f1fp2ϵ/3+Leb(B(0,h)+Supp(f1))1/pτhf1f1

Pour h assez petit, comme f1 est uniformément continue (car continue à support compact et par le Théorème de Heine), on peut trouver 1δ>0 de sorte que si hδ, τhf1f1=supx|f1(x+h)f1(x)|ϵ/[3Leb(B(0,1)+Supp(f1))1/p] ce qui conclut.   □