4 Intégrale des fonctions intégrables

Comme pour les séries et les intégrales impropres en L2, le deuxième cas après le cas positif est celui qu’on appelle “absoluement convergent” pour les séries ou “intégrable” pour les intégrales. Ils ont en commun de considérer la même opération (somme de série ou intégrale) pour la valeur absolue, et si la grandeur obtenue est finie, on peut alors définir l’opération sans valeur absolue. On suit la même stratégie pour l’intégrale de Lebesgue.

On aura besoin de la :

Remarque 4.5.

Soit f:(Ω,𝒯)(¯,(¯)) une fonction mesurable, sa partie positive est f+=max(f,0) et sa partie négative est f=max(f,0). f+, f et la valeur absolue |f| sont mesurables par composée de f avec des applications continues. Elles vérifient f=f+f et |f|=f++f.

De même, pour f:(Ω,𝒯)(,()) une fonction mesurable, son module |f|, et ses parties réelles et imaginaires (f),(f) sont mesurables et

f=(f)+i(f)=(f)+(f)+i(f)+i(f).
Définition 4.13.

Soit (Ω,𝒯,μ) un espace mesuré, une fonction mesurable f:(Ω,𝒯)¯) est intégrale par rapport à μ sur B𝒯 si son module |f|:(Ω,𝒯)[0,+] est d’intégrale finie sur B, i.e. B|f|𝑑μ<+. On note 1(Ω,𝒯,μ) l’ensemble des fonctions intégrables à valeur .

Si f:(Ω,𝒯)(¯,(¯)) est intégrable sur B, on a donc Bf+𝑑μ,Bf𝑑μB|f|𝑑μ<+ et on peut définir l’intégrale de f par rapport à μ sur B:

Bf𝑑μ=Bf+𝑑μBf𝑑μ.

Si on dit f est intégrable, c’est qu’on veut implicitement dire sur Ω, son ensemble de définition. Dans ce cas, on écrit aussi: f𝑑μ=Ωf𝑑μ.

Définition 4.14.

Soit (Ω,𝒯,μ) un espace mesuré, une fonction mesurable f:(Ω,𝒯) (resp. f=(f1,,fn):(Ω,𝒯)n)) est intégrale par rapport à μ sur B𝒯 si ses parties réelles et imaginaire f,f:(Ω,𝒯) (resp. ses coordonnées fi) sont intégrables sur B, i.e. de façon équivalente si B|f|𝑑μ<+. On note 1(Ω,𝒯,μ;) l’ensemble des fonctions intégrables à valeur .

On pose alors :

Bfdμ=Bfdμ+iBfdμ,(resp.Bfdμ=(Bf1dμ,,Bfndμ)n)

L’équivalence vient de B|f|𝑑μ,B|f|𝑑μB|f|𝑑μB|f|𝑑μ+B|f|𝑑μ.

4.1 Premières propriétés

Lemme 4.28.

Si f:(Ω,𝒯,μ)¯ est intégrable (sur Ω), alors μ({ω:|f|(ω)=+})=0

Démonstration : 

En effet, si A={ω:|f|(ω)=+}, on a (+)1A|f| et donc +μ(A)B|f|𝑑μ<+ ce qui n’est possible que pour μ(A)=0.   □

Lemme 4.29.

Soit (Ω,𝒯,μ) un espace mesuré, et f,g:(Ω,𝒯)𝕂 des fonctions intégrables sur B𝒯, alors

  1. 36.

    1Bf est intégrable sur Ω et Bf𝑑μ=Ω1Bf𝑑μ.

  2. 37.

    (linéarité) Si α,β𝕂 alors αf+βg est intégrable sur B et

    Bαf+βgdμ=αBf𝑑μ+βBg𝑑μ.
  3. 38.

    (domination) Si h:(Ω,𝒯)𝕂 est mesurable et dominée par |f| au sens |h||f| alors h est intégrable sur B.

  4. 39.

    (inégalité triangulaire) Si 𝕂=, on a:

    |Bf𝑑μ|B|f|𝑑μ.

On verra le cas complexe de l’inégalité triangulaire un peu plus loin.

Démonstration : 

1. Vu |1Bf|=1B|f|, en utilisant le cas positif du lemme 4.22, on a Ω|1Bf|𝑑μ=B|f|𝑑μ<+ d’où l’intégrabilité. Le calcul de l’intégral se déduit alors du même résultat en prenant partie positive et négative des parties réelles et imaginaires.

2. Par l’inégalité triangulaire |αf+βg||α||f|+|β||g|, donc en passant à l’intégrale et utilisant le cas positif de la linéarité de l’intégrale (Corollaire 4.25):

B|αf+βg|𝑑μB|α||f|+|β||g|dμ=|α|B|f|𝑑μ+|β|B|g|𝑑μ<+.

De même, l’égalité des intégrales vient en prenant partie positive et négative des parties réelles et imaginaires.

3. Il suffit d’utiliser la monotonie de l’intégrale B|h|𝑑μB|f|𝑑μ<+.

4. Dans le cas réel, on a utilise juste l’inégalité triangulaire:

|Bf𝑑μ|=|Bf+𝑑μBf𝑑μ|Bf+𝑑μ+Bf𝑑μ=B|f|𝑑μ.

4.2 Théorème de Convergence dominée de Lebesgue

Théorème 4.30 (Théorème de Convergence dominée ou TCD).

Soient Zn,Z:(Ω,𝒯,μ)𝕂 des fonctions mesurables et A𝒯 avec μ(Ac)=0 satisfaisant:

  1. 40.

    (Condition de domination) il existe une fonction Y intégrable (positive) telle que |Zn|Y,

  2. 41.

    pour tout ωA, Zn(ω)Z(ω)

alors on a:

  1. 42.

    Z est intégrable

  2. 43.

    Ω|ZnZ|𝑑μ0

  3. 44.

    on peut intervertir limite et intégrale

    limnΩZn𝑑μ=ΩZ𝑑μ=AlimnZndμ.
Définition 4.15.

Si une propriété est vraie sur un ensemble A𝒯 avec μ(Ac)=0, on dit que A est vraie presque partout.

L’hypothèse 2. se formule en disant que Zn converge vers Z presque partout. On étudiera cette notion avec plus de détail au chapitre suivant.

Démonstration : 

En appliquant aux parties réelles et imaginaires, il suffit de montrer le cas 𝕂=.

1. L’inégalité |Zn|Y implique en passant à la limite |Z|Y sur A, ou autrement dit par domination, Z est intégrable sur A. Comme μ(Ac)=0, on a aussi |Z|Y+1Ac et Y+1Ac est aussi intégrable, donc Z est même intégrable.

3. L’inégalité |Zn|Y se traduit aussi par YZn,Zn+Y0 et on peut appliquer le lemme de Fatou 4.27:

A(YZ)𝑑μ=Alim infn(YZn)dμlim infnA(YZn)𝑑μ=AY𝑑μlim supnAZn𝑑μ,
A(Y+Z)𝑑μ=Alim infn(Y+Zn)dμlim infnA(Y+Zn)𝑑μ=AY𝑑μ+lim infnAZn𝑑μ,

donc en soustrayant le terme en Y,

AZ𝑑μlim infnZn𝑑μlim supnZn𝑑μAZ𝑑μ

et on en déduit donc l’égalité et la dernière convergence.

2. Enfin, par l’inégalité triangulaire, on déduit |ZnZ||Zn|+|Z|2Y sur A et il satisfait la même condition de domination et pour tout ωA, |ZnZ|(ω)0. En appliquant le reste du résultat, on obtient donc Ω|ZnZ|𝑑μΩ0𝑑μ=0   □

Corollaire 4.31 (Interversion Série-intégrale: cas général).

Soient fn:Ω𝕂 une suite de fonctions mesurables telle que n0B|fn|𝑑μ< pour B𝒯, alors la somme n0fn:Ω𝕂 converge (absolument) pour presque tout ω dans B et est intégrable sur B et on a :

Bn0fndμ=n0Bfn𝑑μ.
Démonstration : 

On considère la suite des sommes partielles Sn=k=0nfk qui vérifie, grâce à l’inégalité triangulaire, la condition de domination |Sk|k=0n|fk|k=0|fk|=:Z. Or par le cas positif de l’interversion, BZ𝑑μ=n0B|fn|𝑑μ< donc Z est intégrable sur B. Soit A={ωB:Z(ω)<}, de sorte que kfk converge absolument sur A donc Sn converge simplement vers la somme (qui est donc mesurable par le théorème 4.18). Par le lemme 4.28 on a μ(Ac)=0 donc le TCD s’applique (sur B à la place de Ω) et donne le résultat.  □