Les pratiques du problème ouvert
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Les pratiques du problèmes ouvert
Un livre de Gilbert Arsac et Michel Mante, co-édité par l’IREM et le CRDP de l’académie de Lyon
Le problème ouvert est une situation d’enseignement qui place l’élève dans la position d’un mathématicien confronté à un problème dont il ne connaît pas la solution. Il devra donc mettre en œuvre une « démarche scientifique » : essayer, conjecturer, tester, prouver. Introduite au collège par l’IREM de Lyon il y a plus de vingt ans, cette pratique s’est étendue aux écoles primaires, aux classes de SEGPA, aux lycées, aux IUFM.
Vous trouverez dans ce livre une présentation détaillée des problèmes ouverts et d’autres pratiques parallèles, des exemples d’utilisation, des rapports d’expérimentations, des énoncés et des propositions de mise en œuvre à tous les niveaux.
Repères pour agir, série Disciplines
Pilotée par le CRDP et la Cellule académique de formation de l’académie de Créteil, en partenariat avec la Mission « Valorisation des innovation pédagogiques », cette collection de livres pratiques permet d’accompagner la formation continuée des enseignants du second degré. Sa fonction est double : faire connaître des outils de réflexion et des initiatives pédagogiques.
Nombre de pages : 200 pages
Prix : 14 euros TTC
ISSN : 1 625-3000
ISBN : 987-2-86625-334-9
La bande dessinée de Claude Tisseron
Intervention de Gilbert Arsac pour les 50 ans de l’IREM de Lyon
Naissance et premiers pas du problème ouvert à l’IREM de Lyon.
J’ai pris la direction de l’IREM de Lyon, à la suite d’Alain Bouvier, en 1982. Les IREM sont alors des organismes de formation continue des enseignants du secondaire, mais sans aucune organisation globale précise, et du coup chacun a un fonctionnement propre. A Lyon, outre des groupes de recyclage auxquels j’ai déjà participé comme animateur, Alain Bouvier a lancé un groupe autour du problème : les membres de ce groupe se réunissent régulièrement pour chercher ensemble des problèmes, du type problème d’olympiades (le projet n’est pas de fabriquer des énoncés originaux) et on pense que c’est une formation pour des professeurs de math, car faire des maths, c’est résoudre des problèmes. Je décide que, outre mon travail de direction, mon activité de formateur consistera à participer à ce groupe.
Je ne me souviens plus de la liste des participants, mais en tout cas, il y avait Gilles Germain de l’université et Michel Mante professeur au collège Jean Vilar, des universitaires et des professeurs du secondaire, collaboration typique du système des IREM. Nous nous attaquons en particulier au problème du rectangle quadrillé, et la naissance du problème ouvert peut être datée du jour où Michel Mante affiche l’énoncé dans sa classe de quatrième, et constate que cela ne laisse pas les élèves indifférents.
Etant donné un rectangle quadrillé de rangées de n carrés parallèlement à un côté, et de p parallèlement à l’autre, trouver en fonction de n et p le nombre de carrés traversés par la diagonale.
Précisons tout de suite que le collège où il enseigne est celui qui, dans l’académie de Lyon, cumule le plus de handicaps. Il est situé dans un quartier difficile et nous serons tout de suite dans l’ambiance quand nous irons observer la classe de Michel : il faut rentrer la voiture dans la cour afin d’éviter les pneus crevés, et quand on arrive dans la salle de classe, on constate que si elle ne vient pas d’être utilisée, les volets sont fermés de peur que des élèves cassent les vitres à coup de pierre...Ceci est important, car par la suite des enseignants penseront que la pratique du problème ouvert est réservée aux bonnes classes, et contesteront même violemment les videos de séances de problème ouvert. Nous tenons compte aussi du fait que l’on ne doit pas attendre un soutien des familles aux élèves, ainsi le problème ouvert sera conçu comme une activité se déroulant entièrement en classe, sans travail à la maison.
Après cette introduction, venons-en à deux remarques fondamentales :
1) au départ, le problème ouvert (origine de l’appellation oubliée, elle n’est pas originale en math) est une innovation pédagogique, et n’a pas la prétention de relever de la recherches au sens universitaire ; plus tard, une collaboration avec Nicolas Balacheff, didacticien à Grenoble, dans le cadre de la préparation de sa thèse sur la preuve et la démonstration introduira un point de vue nouveau et la possibilité d’user de méthodologies de recherche qui nous en apprendront beaucoup, après l’euphorie des premiers essais en classe.
2) Dès l’origine, la formation est au cœur du projet : en effet, je vous rappelle qu’à cette époque les IREM s’occupent beaucoup de formation et de recyclage : ils ont appris aux enseignants les « mathématiques modernes » autour de la notion d’ensemble et cherchent à associer des pédagogies à ces contenus. Il n’y a pas de discours théorique sur la formation commun à tous ces instituts, mais à Lyon, sous l’impulsion de la psycho-sociologue membre de l’IREM, Dominique Pichod, et du directeur précédent, Alain Bouvier, il existe une doctrine sans doute référée aux usages de la formation dans d’autres lieux que l’Education Nationale, et irréductible au seul recyclage qui subsiste par ailleurs : le but de la formation est de donner à celui qui la suit la possibilité de changer sa pratique, en particulier en voyant que des pratiques différentes de la sienne existent. Ceci a deux conséquences importantes pour l’équipe du problème ouvert :
d’une part, les formations à la pratique du problème ouvert qui seront rapidement organisées l’année suivante amèneront certes les enseignants qui les suivent à pratiquer des séances de problème ouvert deux séances de problème ouvert dans leur classe, mais le but visé est de leur permettre l’analyse de leur propre pratique en observant de ce qui se passe pour eux et les élèves dans une séance de problème ouvert . Libre à eux ensuite d’en tirer une modification éventuelle de leur manière d’enseigner qui ne consistera pas nécessairement dans une pratique fréquente du problème ouvert, lequel n’a d’ailleurs pas la prétention d’être une pédagogie, mais simplement une technique pédagogique. On peut rattacher cette technique à la didactique des mathématiques car elle a un lien fort avec la discipline, dans la mesure où elle s’inspire de ce que nous considérons comme typique de la pratique du mathématicien : résoudre des problèmes. Elle ne fait aucune référence à une doctrine pédagogique précise : Michel Mante m’a rappelé que nous avions une fois invité un enseignant anglais qui proposait un enseignement des mathématiques par les problèmes. Personnellement je l’avais oublié, en effet cette théorie n’a joué aucun rôle dans la suite de l’histoire.
d’autre part, passionnés par les récits de Michel Mante, les autres membres de l’équipe se précipitent dans sa classe pour observer les séances, et en bons enseignants, ils se concentrent sur les élèves car comme les chasseurs racontent des histoires de chasse, les enseignants racontent des histoires d’élèves… Mais c’est ici que l’experte en formation met son grain de sel : elle nous fait remarquer que si l’on veut former des enseignants à la pratique que nous commençons à mettre au point, c’est le professeur qu’il faut observer : comment organise-t-il la séance ? Que fait-il pendant cette séance ? Lorsque nous serons amenés à exposer la pratique du problème ouvert dans le cadre de séminaires de didactique, ce point de vue amènera à introduire dans les recherches en didactique, l’étude du rôle du professeur, alors que dans les situations « a-didactiques » introduites par Guy Brousseau, l’idée de dévolution tendait à écarter la recherche sur le rôle de l’enseignant.
Ces observations nous conduisent également à constater que certains énoncés sont plus favorables que d’autres et nous commençons à définir a priori les caractéristiques que doit présenter un bon énoncé de problème ouvert, vu les contraintes que nous nous imposons : recherche et production de résultats (pas forcément définitifs) en une séance. Nous le détaillons dans les publications de l’équipe :
Nous appelons problème ouvert un problème qui possède les caractéristiques suivantes :
l’énoncé est court
l’énoncé n’induit ni la méthode, ni la solution (pas de questions intermédiaires du type « montrer que »). En aucun cas cette solution ne doit se réduire à l’utilisation ou à l’application immédiate des derniers résultats présentés en cours.
le problème doit se situer dans un domaine conceptuel avec lequel les élèves ont assez de familiarité. Ainsi peuvent-ils prendre facilement possession de la situation et s’engager dans des essais, des conjectures, des projets de résolution, des contre-exemples.
Exemples :
le rectangle quadrillé
décomposer 2018 en somme de nombres entiers dont le produit soit le plus grand possible
quels sont les nombres entiers somme d’entiers consécutifs ?
Mais nous ne sommes pas au bout de nos peines, et mes souvenirs me rappellent la difficulté que nous avons eue à terminer une séance de problème ouvert. Cette phase, que nous avons appelée provisoirement phase de conclusion ou de bilan est nécessaire car il faut bien que les élèves sachent quelle est la bonne solution et pourquoi. Et au début, nous donnons tout naturellement cette responsabilité à l’enseignant. Et là, il se produit un phénomène analogue à celui que l’on observe quand on ouvre prématurément le four dans lequel cuit un soufflé, l’enthousiasme, l’implication des élèves, disparaissent instantanément, se dégonflent...Nous comprenons alors qu’il faut continuer à donner des responsabilités à tous les élèves dans cette phase de conclusion. Nous sommes donc affrontés à organiser une séance de bilan dans laquelle les élèves gardent le plus longtemps possible la responsabilité de la situation. Ceci a deux conséquences :
tout d’abord, il y a des problèmes d’organisation d’un débat, a priori indépendants des mathématiques, et que nous résolvons par exemple à l’aide de l’affichage des différentes solutions pour que toutes restent présentes tout au long de la séance et de bien d’autres détails d’organisation dont dans nos publications nous prendrons soin d’expliquer les raisons afin d’ouvrir pour les enseignants la possibilité de modifier le déroulement.
mais le fond du problème est qu’il s’agit d’un débat mathématique. Ayant un peu fréquenté l’histoire grecque, j’avais retenu que la démonstration est en somme une forme du débat démocratique dans la société grecque, et je m’attendais à voir la démonstration surgir spontanément du débat des élèves ! Il y a longtemps que je souris de cette naïveté, mais il vaut la peine de souligner aujourd’hui le fait suivant : si les règles de la démonstration mathématique ont commencé à être fixées par les Grecs, ceux-ci ont remarqué un phénomène extraordinaire : il existait un domaine et un seul où l’on pouvait conclure sans appel à la vérité d’un énoncé. Autrement dit, les règles du raisonnement mathématique sont bien propres aux mathématiques.
C’est donc à ce moment de l’histoire du problème ouvert que nous rencontrons Nicolas Balacheff, chercheur de Grenoble qui prépare une thèse sur la preuve et la démonstration. La collaboration s’impose donc, avec un nouveau but : utiliser la situation problème ouvert comme moyen d’apprentissage des règles du raisonnement mathématique. Ainsi l’équipe, associant toujours universitaires et enseignants du secondaire, va s’initier à la didactique à la fois théoriquement, mais aussi pratiquement : nous allons faire de nombreux progrès dans les techniques d’observation.
Cette nouvelle orientation est comme le feu d’artifice final qui confirme la fécondité de la situation problème ouvert : elle n’est pas seulement un achèvement mais aussi un point de départ vers de nouvelles questions, et ceci aboutira à la première publication qui ne soit pas centrée uniquement comme les précédentes sur le problème ouvert, mais qui s’intitule « Initiation au raisonnement déductif au collège », signée par l’ensemble des membres de l’équipe.
Je choisis de m’arrêter sur ce nouveau départ...
Gilbert Arsac, 22 juin 2018
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