Interview de Maurice Glaymann

vendredi 9 juillet 2021
par  Webmaster IREM

Maurice Glaymann nous a quittés. Le texte qui suit est un interview réalisé à Lyon en mai 2005 par l’association des Amis de l’IREM de Lyon. Il décrit la naissance des IREM vue par Maurice Glaymann, alors président de l’APMEP et premier directeur de l’IREM de Lyon. René Gauthier également interviewé à cette occasion, est à la fois témoin et acteur. Nous avons souhaité garder ce témoignage brut. Il rend compte de l’effervescence de l’époque, de l’enthousiasme qui régnait mais aussi de certains errements. Il marque l’importance historique de l’action de Maurice pour l’APMEP et les IREM.

Intervenants Gilles Aldon, Elisabeth Boursey, Maryvonne Drou-Leberre, Josette Feurly, Georges Mounier, René Mulet-Marquis, Danielle Noyarie. Ils sont désignés par le nom générique Amis de L’IREM. 

Plantons le décor L’interview a eu lieu dans le grand appartement lyonnais sur les bords du Rhône qui servait de local à l’association Galion et à la Régionale de l’APMEP et de bureaux pour les éditions ALEAS.

C’est un lieu chargé de souvenirs pour tous ceux qui l’ont fréquenté durant plusieurs décennies. Nous avions tous dans la tête l’histoire de la création des IREM pour l’avoir évoquée avec Maurice dans une conversation dans les couloirs de l’Université ou lors des séminaires de l’IREM auxquels il participait activement depuis de longues années. Mais ce jour, nous avions décidé de recueillir le témoignage de Maurice pour qu’il nous explique en détail la façon dont il avait vécu ces moments historique pour l’enseignement des mathématiques en France. C’est donc autour de la grande table de réunion dans le salon de cet ancien appartement des berges du Rhône que débute l’interview.

Naissance des régionales de l’APMEP

Amis de l’IREM de Lyon On représente ici une association qui s’appelle les Amis de l’IREM de Lyon, et on s’est dit que l’un des buts de cette association c’est de faire un peu l’histoire des IREM, et tout de suite on a pensé à Maurice Glaymann qui va donc subir un feu de questions sur : l’IREM de Lyon, l’origine des IREM. La première chose, peut être Maurice, c’est de te présenter.

M. Glaymann Me présenter pour qui ?

Amis de l’IREM Essentiellement pour le site : ce qu’on fera c’est essayer de décrypter cette bande et puis d’en tirer quelque chose.

M. Glaymann Mon métier ça a été d’enseigner les mathématiques j’ai essayé de le faire le mieux possible, j’ai eu de très bons étudiants c’est pour ça que la tâche a été facile.

Amis de l’IREM Tu as été enseignant à l’université ?

M. Glaymann J’ai enseigné à l’université : je suis arrivé à Lyon en 63 et j’ai quitté la fac en 93, j’ai fait 30 ans à Lyon et j’avais fait 10 ans d’enseignement au Liban.

Amis de l’IREM Après que tu sois arrivé à Lyon, ça a été donc le moment des IREM ?

M. Glaymann Non, ça a commencé par la création d’une vraie régionale de l’APMEP à Lyon qui a pris en main une certaine formation continue. On s’était dit que pour lancer cette Régionale le mieux ce serait de faire des conférences et les uns et les autres on a fait des conférences. Ça a attiré pas mal de monde et c’est comme ça que la Régionale de l’APMEP de Lyon s’est constituée.

Amis de l’IREM Et au début c’était une initiative qui venait des enseignants ou il y avait un aspect institutionnel ?

M. Glaymann Non ça venait de nous, c’était uniquement Louis Duvert, Georges Tauvert et René Gauthier, qui étaient professeurs à Ampère. Sont arrivés ensuite des gens comme André Myx, Duclos ... On ne peut pas citer tout le monde mais très vite on s’est retrouvés une vingtaine et donc toutes les semaines il y avait une conférence sur un sujet.

Amis de l’IREM Et ça c’était quelque chose qui se passait à Lyon uniquement ou dans d’autres Régionales de l’APMEP il y avait aussi ce mouvement ?

M. Glaymann Non, on a commencé à Lyon et c’est parti comme ça. Là dessus on était, tout cette petite équipe, en relations étroites avec l’association des profs de Maths et il se trouve qu’en 1965 j’ai proposé de faire des journées de L’APM à Lyon. Et là, ça a galvanisé encore plus la population des profs de la région et ces journées ont été vraiment un très grand succès puisqu’il y a eu plus de cent personnes ce qui était vraiment nouveau. Aujourd’hui il y en a 700, mais à l’époque 100 personnes c’était déjà vraiment impressionnant.

René Gauthier Il y a eu un bouquin important.

M. Glaymann Oui, l’apprentissage mathématique d’Evariste Dupont alias Walusinski qui mettait entre les mains de tous les profs une idée de ce que pouvaient être les mathématiques modernes, les structures en particulier. Il a servi de tremplin à l’époque.

Amis de l’IREM La création de la Régionale, c’était, tu viens de parler de mathématiques, est ce que c’était ça le déclencheur ?

M. Glaymann Ce qui s’est passé c’est que très vite l’idée de Régionale s’est instaurée et très vite il y a eu partout, presque partout, des régionales de l’APMEP. C’est quelque chose d’important de voir que se créent des groupes qui travaillent localement et qui s’intéressent à des sujets modernes.

Contexte mathématiques et charte de Chambéry

Amis de l’IREM Cela correspondait à un moment peut être de l’évolution des mathématiques ?

M. Glaymann Cela correspondait à l’évolution des mathématiques avec Bourbaki, ça correspondait aussi avec la nécessité de sortir du dogmatisme, c’était une ambition. Là dessus, pour continuer à parler de moi, je reçois un coup de fil de Revuz qui avait assisté aux journées de l’APMEP à Lyon, qui me dit « tu as l’air actif » il faudrait que tu sois notre prochain président. Alors j’ai un peu tiqué parce que je ne me sentais pas d’emblée ... J’ai fini par accepter sous la pression de Revuz , je me suis dit après tout pourquoi pas. Donc en 66-67, non 67-68 je me retrouve président de l’APMEP.

Amis de l’IREM L’APMEP avait des présidents jeunes à cette époque, tu avais moins de quarante ans.

M. Glaymann J’avais moins de quarante ans, je devais avoir 34 ans. Et il y avait eu une rencontre à Chambéry de l’APMEP, il y avait eu des journées, et on avait rédigé ce qu’on a appelé la charte de Chambéry, René tu y étais. Il y avait eu précédemment la charte de Caen, qui était moins importante à mon sens parce que la charte de Chambéry définissait de façon précise ce qu’était un institut de recherche sur l’enseignement des mathématiques. C’est donc l’APMEP qui crée en quelque sorte les IREM.

Amis de l’IREM Le concept ?

M. Glaymann C’est vraiment la charte de Chambéry qui structure l’IREM, qui donne des définitions précises de ce qu’est un formateur, une formation, des contenus ... enfin, bref, on prépare un document qui va nous servir très largement dans les deux ou trois années qui vont suivre. Donc il ne faut pas perdre de vue cette idée que c’est l’APMEP qui est fédérateur des IREM, ni le gouvernement ni le ministère : l’association.

Amis de l’IREM Pourquoi ce besoin de formation ?

M. Glaymann On se rendait bien compte qu’entre les mathématiques qui étaient enseignées et les mathématiques vivantes, il y avait un tel fossé que c’était plus possible. Les physiciens eux ils parlaient de physique moderne : on ne pouvait pas enseigner la physique comme on l’enseignait il y a 100 ans, s’ils voulaient que leurs élèves restent en contact avec la réalité. Je crois qu’on ressentait nous aussi les mêmes préoccupations. Donc il y a la charte de Chambéry, je me trouve à la tête de l’association des profs de maths. Dès ma nomination je vais demander une audience au ministre de l’éducation qui s’appelle à l’époque Christian Fouchet.

Je suis reçu par Fouchet, ministre important de De Gaulle, et je lui explique que, si on ne fait pas une réforme importante des mathématiques, la France sera un pays sous-développé dans les années qui suivent. Je pensais que de 67 à 87 si on faisait rien, c’était foutu pour la France. Vous pensez bien que le ministre de de Gaulle qui entend dire que la France serait un pays sous-développé dans 10 ans .. Il me dit : qu’est ce qu’il faut faire, je lui dis c’est vous qui êtes ministre, il me dit on va faire une commission et il crée presque instantanément la fameuse commission Lichnérowicz qui, elle, va pendant un an ou deux s’intéresser à peu près exclusivement aux contenus.

La commission Lichnérowicz s’est intéressée à comment on pouvait modifier les contenus. Elle a eu une influence non négligeable puisqu’elle a autorisé un certain nombre d’enseignants, un peu partout en France, à faire une expérimentation. La grande nouveauté, c’est qu’on avait le droit, en travaillant en commun, d’expérimenter un certain nombre de nouveaux concepts dans les classes, avec la bénédiction de l’Inspection Générale. Ils ont été un peu forcés, ils n’avaient pas trop leur mot à dire à l’époque. Et on était chargés par la commission Lichnérowicz, non seulement d’expérimenter, mais de préparer des documents. Et c’est là qu’est né Galion à Lyon, au lycée Ampère. En 67 se crée ce petit groupe qui va prendre très vite le nom de Galion et qui va être chargé pendant deux ans, trois ans, d’expérimenter le nouveau programme. Je pense que si les événements ne s’étaient pas un peu précipités, on n’aurait pas été plus loin. Fouchet est nommé ministre de l’Intérieur.

Les nouveaux programmes

Amis de l’IREM Ce qui n’est pas clair pour moi, c’est que tu viens de dire : le groupe Galion a expérimenté de nouveaux programmes. Le nouveau programme, c’est eux qui le créaient ?

M. Glaymann Non, les nouveaux programmes étaient préconisés par la commission Lichnérowicz. C’était un avant projet, ce n’était pas un programme officiel, la commission Lichnérowicz avait réuni des membres de tous niveaux et avait élaboré un certain nombre de programmes, ça a été très facile pour la cinquième et la sixième et les problèmes commencent en quatrième. On en reparlera tout à l’heure.

Amis de l’IREM Est ce que tu peux nous donner une idée de choses qui changeaient, du point de vue des contenus ?

M. Glaymann Très vite les ensembles arrivent, servent de support, on trouve de l’arithmétique intelligente et qui montre comment on peut faire des mathématiques autrement, le calcul numérique, l’utilisation des machines, à l’époque ça paraissait aberrant que l’on puisse utiliser des machines, mais n’empêche que les expérimentateurs ont expérimenté avec des gamins l’usage des machines. On n’avait pas encore de machines électroniques à l’époque, c’étaient des Curta. Il y avait tout un état d’esprit qui changeait.

Amis de l’IREM Y compris en primaire ?

M. Glaymann Non ça viendra après. Et là je pense que s’il n’y avait pas eu mai 68, on n’aurait pas été plus loin parce que ça freinait au ministère, à l’inspection générale extrêmement négative vis à vis de cette méthodologie nouvelle, parce qu’ils sentaient bien qu’ils perdaient le contrôle de la rédaction des programmes, parce qu’en fait c’était eux qui rédigeaient les programmes jusqu’à présent. On sait très bien comment ils rédigeaient les programmes : on commençait par le programme de Polytechnique et puis on descendait jusqu’à la sixième voire jusqu’au CP. Donc on visait Polytechnique, et puis après on se débrouillait pour le reste.

Intervenant non identifié Ils ont pas du en rédiger beaucoup, parce que … on était sur des programmes qui dataient de 45, alors…

M. Glaymann Oui mais enfin, de temps en temps, y avait un petit truc qu’on a rajouté, enfin, c’est eux qui avaient la grande main mise sur les programmes, et qui l’ont à nouveau actuellement alors, on est revenu au point … Alors donc, …Fouchet est nommé à l’intérieur, et c’est Peyrefitte qui est nommé au Ministère, il s’aperçoit qu’il y a une grande commission Lichnérowicz qui est en place, il nous reçoit une fois, et la première fois qu’il nous reçoit, il nous dit voilà, j’ai décidé de passer six mois à réfléchir, intéressant pour un ministre de dire je vais réfléchir. Pour un ministre, c’était …, Ne me dérangez pas, je suis là, continuez à travailler, disait-il, si vous avez besoin de temps en temps, de venir me voir vous pouvez venir me voir, …Alors on a continué à travailler, et il se trouve qu’au bout de six mois, on était en mai, et que par conséquent les choses s’étaient largement datées. Je me souviens qu’on était toujours en train d’analyser des documents, au lycée Ampère, et qu’on avait toujours à côté de nous un transistor pour écouter les informations, pour savoir ce qui se passait, où on en était, c’était vraiment une époque assez curieuse, et donc Mai 68, avec ses conséquences…Les conséquences, c’est que de Gaulle a paniqué, puisqu’il a été voir Massu en Allemagne, et puis quand il est revenu, tout s’est calmé parce que on a rouvert les portes, les français sont partis en vacances, et tout est rentré dans l’ordre, sauf,… sauf au niveau des étudiants qui lâchaient pas prise, et en particulier, je sais pas si vous vous souvenez, il y eu une grève des examens et des concours, c’est la première année depuis longtemps qu’il y a pas eu de concours d’agrèg en temps voulu.

Création des IREM

M. Glaymann On se retrouve avec un nouveau ministre qui est Edgar Faure, et Edgar Faure, lui, il ne veut pas réfléchir six mois avant de prendre une décision, et j’étais encore Président à ce moment-là, je demande une audience, il me reçoit, et là du coup, je lui dis voilà, nous avons des propositions à vous faire, création de l’Institut de recherche de l’enseignement des mathématiques, je lui explique largement le problème, et il me dit, écoutez, je vais faire chiffrer le coût de ce dispositif, rendez-vous dans une semaine.

Une semaine après, je me retrouve dans le cabinet d’Edgar Faure, il me dit, voilà, il faut un million de francs à trois millions de francs pour faire un IREM, alors je le regarde de côté, et je lui dis avec ce prix-là, je vous en fais trois…

Il me dit « C’est possible, ça ? ». Je lui dis oui, chiffrez de votre côté, je vous assure qu’avec ce que vous nous proposez, on en fait trois.

Il me dit « Où » ?

Je lui dis : « écoutez, un à Paris, un à Strasbourg, et si vous voulez, un autre à Lyon ? »

Il me dit : « Ecoutez, je fais une étude, et dans quatre jours, on vous donne une réponse ».

C’est comme ça que sous la pression de la rue, Edgar Faure, ministre de l’éducation nationale, se lance dans l’aventure des IREM, et en crée trois, à Paris, Strasbourg, et Lyon…

Amis de l’IREM Pourquoi Strasbourg ?

M. Glaymann Strasbourg parce qu’il y avait Frenkel, qui était quelqu’un d’extrêmement précis, d’extrêmement actif, qui mourra très vite d’un infarctus, en 73, il a trop travaillé, on était tous les deux chacun sur un lit d’hôpital avec un infarctus, moi j’ai résisté, lui il a pas résisté, enfin ça, c’est la petite histoire…

Donc on a trois IREM, avec la promesse que tous les ans, on créerait 3 à 4 IREM un peu partout en France, jusqu’à concurrence de 25 IREM, et c’est ce qui s’est produit.

Amis de l’IREM Est-ce que tu peux nous redire les dates ?

M. Glaymann En 69, les trois premiers, et progressivement 3 à 4 nouveaux IREM chaque année, jusqu’à concurrence des 25, si bien qu’au bout de quatre, cinq ans, il y a des IREM partout en France…

Alors ce qui est extraordinaire, c’est qu’on a des moyens, on commence à avoir… L’idée dès le départ, c’est que, on n’est pas formateur à plein temps, on est formateur à mi-temps, tout le monde, tous les gens qui venaient à l’IREM. On a six demi-postes de maître-assistant à la Faculté, ces trois postes sont nommés immédiatement, on crée trois postes.

Mes collègues, étaient là, comme ça, trois postes, c’était incroyable… Qu’est-ce qui arrive ?

Une douzaine de formateurs, à savoir dix à douze mi-temps, et 300 professeurs qui pouvaient venir en formation à l’IREM.

Amis de l’IREM Qui avaient des moyens ?

M. Glaymann Ils avaient une décharge, soit une décharge de trois heures, ou alors un supplément de traitement… On avait un local, deux secrétaires, du matériel, circuit intérieur de télévision, bref, tout ce qu’on pouvait espérer pour pouvoir travailler.

Amis de l’IREM Le local était où ?

M. Glaymann A la fac, on se retrouvait avec des moyens qui étaient extraordinaires.

Amis de l’IREM Comment tu expliques que ces moyens, manifestement importants, soient allés vers les maths et pas vers d’autres disciplines ?

M. Glaymann Parce qu’il n’y avait que les matheux qui étaient prêts à fournir un projet, et Edgar Faure, lui, ce qu’il voulait, c’était montrer que les choses avançaient, qu’on pouvait modifier et les tempéraments et les méthodes, et puis c’était quand même quelqu’un qui avait envie de faire des choses…

Je me souviens, quand il est venu aux journées de l’APM à Besançon, il a dit, c’est Madame Touyarot qui était présidente à ce moment-là, il a dit : « Je suis le père des IREM, et vous Madame, vous êtes la mère… ».

Pourquoi pas ? Enfin, il voulait montrer comme ça qu’il était prêt à nous soutenir… Donc très vite, on s’est dit qu’il ne fallait pas qu’on reste seuls, et on a essayé de réfléchir sur les IREX, X pour tout ce qu’on voudrait imaginer !

Si les autres collègues n’ont pas suivi, qu’est-ce qu’on pouvait faire ? On pouvait pas prendre leur place pour faire une réforme de l’enseignement du français, ou de la physique, ou de la biologie. C’est à eux de voir qu’on avait créé une structure, et qu’il fallait embrayer pour pouvoir suivre…

Amis de l’IREM Est-ce que tu te souviens de quelle sorte de formations vous faisiez ?

M. Glaymann On faisait de la formation, on apprenait les ensembles, les relations, les maths modernes.

Parce qu’il fallait rapidement enseigner ces choses-là.

R. Gauthier Certains d’entre nous allaient à St Etienne, à Villefranche sur Saône, j’allais à St Etienne, devant une quarantaine de profs,

M. Glaymann Oui, à Bourg et même à Oyonnax, il y avait des pèlerins, qui sillonnaient la région…

Amis de l’IREM Et c’était avant que le programme ait changé ?

M. Glaymann Oui, il était sur le point de changer, il a changé en 6ème d’abord, on préparait les notions de 6ème… Alors, arrivons à la catastrophe. La catastrophe arrive quand il s’est agi des programmes de 4ème. Bon, …

La « catastrophe »

Revuz, qui était encore professeur à Poitiers à l’époque, il fallait qu’il prouve aux collègues mathématiciens que les nouveaux programmes étaient impeccables… du point de vue mathématique.

Il ne faut pas oublier qu’il y avait la pression de gens comme Dieudonné, comme Schwartz, mais qu’on avait quand même l’appui d’autres mathématiciens comme Samuel…

Donc il faut bien voir qu’il y avait au sommet de la pyramide d’autres mathématiciens qui attendaient Lichnérowicz et Revuz au tournant : qu’est-ce qu’ils allaient pondre ?

Donc, Revuz n’avait qu’une idée, c’est de sortir un programme impeccable.

Et il nous propose une axiomatique de la géométrie en 4ème, avec le monstre des monstres, à savoir la droite affine réelle, définition qui prenait dans son bouquin à lui huit lignes, alors vous imaginez la tartine pour un élève de 4ème, quand il devait l’apprendre, ça faisait plus de 8 lignes une fois écrite !

Amis de l’IREM Et tout ça pour une droite !

R. Gauthier Là, on a eu droit au Canard Enchaîné !

M. Glaymann Alors on a expérimenté sérieusement la chose, et on s’est rendu compte immédiatement, mais on le savait, que c’était pas possible. Alors les expérimentateurs transmettent à la Commission Lichné la situation en disant : écoutez, c’est pas possible, on ne peut pas faire une réforme dans ce sens-là, ça ne peut pas passer !

Et Revuz a mis tout son poids, a mis Lichnérowicz dans sa poche, je sais pas comment il a pu faire, et la Commission a entériné. Si bien qu’on s’est retrouvé l’année suivante avec une géométrie monstrueuse à enseigner en 4ème.

Et je pense que tous nos ennuis sont arrivés à partir de ce moment-là, parce que il y eu une levée de boucliers, en disant : les mathématiques modernes, c’est une catastrophe ! C’est pour une élite, c’est pas possible que nos enfants puissent apprendre ces mathématiques-là.

Petit à petit, la France a pris conscience que c’était aberrant. C’était aberrant ! y a rien à faire ! C’est vrai qu’en soi, c’est magnifique, mais magnifique pour qui ? pour des mathématiciens qui connaissaient la question ! Je pense que tous les ennuis ont commencés là. Je pense que tous les ennuis... je me trompe pas René ?

R. Gauthier Oui,oui. C’est un peu ça.

M. Glaymann Je pense que tous les ennuis sont arrivés à partir de la droite affine réelle.

Amis de l’IREM Bien, comme disait René tout à l’heure, il y avait bien un petit côté un peu dogmatique, de type hein...

R. Gauthier ...très dogmatique...

Amis de l’IREM ...de type, de type on va construire avec vous des ensembles etc...non ?

M. Glaymann Bien sûr, bien sûr on avait des classes de 30 élèves, on n’allait pas changer ça. Si on avait pu travailler avec des classes de 20 élèves, peut-être qu’on aurait pu...

R.Gauthier Oh ! ça ne changeait rien.

M. Glaymann Ça change rien.

R. Gauthier Le dogmatisme était en gros supportable avec des trucs simples comme des ensembles et des relations. Mais dès qu’on arrive à l’axiomatisation de la géométrie, c’était insupportable.

M. Glaymann Absolument insupportable !

Amis de l’IREM Mais par exemple, l’idée de construire des ensembles, est-ce que c’était, finalement aujourd’hui avec 30 ans de recul, voire 40, est-ce que c’était vraiment indispensable de construire des ensembles. Je veux dire, je ne sais pas, c’est une question

M. Glaymann Non, non, ce n’était pas indispensable. Ce qui était quand même intéressant, c’est de pouvoir travailler sur les vecteurs, de pouvoir faire des choses intéressantes sur les transformations.

R. Gauthier Non c’était l’idée aussi, que le type qui sortait du bac et qui arrivait à la fac, il avait devant lui une autre mathématique, nouvelle, à la fac, qui n’avait rien à voir avec ce qu’il avait vu au lycée. L’idée était de rassembler...

M. Glaymann Au moins, en sortant de math-élem, de terminale, savoir ce que c’était un groupe, avoir travaillé sur les groupes, avoir travaillé un peu sur les espaces vectoriels, donc connaître les structures et puis arrivé à la fac, être libéré des notions élémentaires d’algèbre moderne. C’était ça la transition qui aurait permis de faire avancer les choses : on en est bien loin.

Amis de l’IREM Et ce constat sur l’enseignement des mathématiques, il s’est fait en France, mais je suppose que dans les autres pays c’était aussi un peu pareil. Est-ce que ça a été regardé par l’extérieur ? Est-ce qu’il y a eu...?

M. Glaymann Tu sais, il faut regarder les choses clairement. Il y avait un pape des mathématiques, pas très loin de chez nous. C’était Papy, qui avait érigé de son côté une dogmatique, une mathématique dogmatique, colorée, et qui avait imposé ses points de vue à toute l’Egypte (rires), à toute... Chœur à toute la Belgique !

M. Glaymann Bon, nous, on avait regardé d’un air un peu amusé Papy, en se disant : il est en train de se casser la gueule ! Mais bon. En Angleterre...

R. Gauthier Qu’est-ce que c’est qu’une bijection ? c’est quand on trace les flèches en rouge !

M. Glaymann En rouge, voilà, ça c’est une bijection, les flèches sont en rouge. Surjection, elles sont en jaune. Voilà. C’est pas si caricatural que ça. Bon. En Angleterre et dans les pays Anglo-Saxons, ils restaient très très "expérimental". Ils faisaient des manipulations, ils faisaient des essais des erreurs, et puis on contrôlait. Ils se donnaient la peine de jouer encore avec les mathématiques. Par contre, quand on regarde ce qui s’est passé en Hongrie, ou en Russie, ou en Union Soviétique, vraisemblablement, leur méthode c’était, de retirer des classes les élèves doués pour telle et telle discipline. Et on emmenait vers Moscou, vers les écoles scientifiques importantes, les très bons élèves. Donc, on faisait de l’écrémage. Mais, dans toutes les directions. On écrémait aussi bien en cuisine qu’en mathématique, ou en géographie ou en histoire ; selon les tendances des gens, on leur donnait les moyens de se perfectionner. Mais y a pas eu ...

Amis de l’IREM C’était assez démocratique par rapport à ce qu’on voit actuellement ici.

M. Glaymann Oui,oui, mais c’est fini. je crois que c’est fini. Tout ça c’est fini. Toujours est-il, c’est que, il y avait plusieurs méthodologies différentes d’enseignement.

Les années formation

Amis de l’IREM Juste pour préciser les choses, quand même pendant beaucoup d’années vous avez formé beaucoup de gens, c’est à dire, il y a eu une masse énorme de formation continue.

M. Glaymann Oui.

Amis de l’IREM Que ce soit des enseignants du second degré, des instituteurs ?

M. Glaymann Oui, ça a duré 10 ans.

Amis de l’IREM Pendant une dizaine d’années ?

M. Glaymann Pendant une dizaine d’années, on a dû former plus de 3000 personnes.

Amis de l’IREM Donc avec beaucoup de moyens aussi ?

M. Glaymann Avec toujours beaucoup de moyens, jusqu’au jour où, ça date des années 89, où, du jour au lendemain, on diminue les crédits des IREM.

Amis de l’IREM Ah oui, mais ça, je me permets, je veux dire, ça fait plus que 10 ans, 89, par rapport à la création des IREM.

M. Glaymann 69, non pardon, 79 ? 79. Tout d’un coup, compte tenu de tout ce qui se passe, des critiques...

Amis de l’IREM Donc des critiques dans la presse par exemple, des critiques des parents des choses comme ça ?

R. Gauthier De l’Académie des Sciences aussi !

M. Glaymann L’académie des sciences enfin...tout le monde, tout le monde nous tombe dessus.

Amis de l’IREM Est-ce que le programme, à ce moment-là, avait changé ?

M. Glaymann Oh ben si !

Amis de l’IREM A quel moment a-t-il changé ?

M. Glaymann Très vite le programme de 4° n’a pas résisté. Ce n’était pas possible, c’était une telle calamité que même Revuz a été obligé d’abandonner.

Amis de l’IREM Tu étais encore directeur de l’IREM ?

M. Glaymann Je suis, je suis parti en 79.

Amis de l’IREM Tu es parti en 79 ?

M. Glaymann Quand il y a eu une diminution, j’ai démissionné. J’ai dit, je ne marche pas avec un Institut, que l’on prive de moyens ? C’était facile de trouver des remplaçants.

Amis de l’IREM Qui, qui t’a remplacé ?

M. Glaymann C’est Braemer qui m’a remplacé.

Amis de l’IREM D’accord. Donc tu as quitté les IREM...

M. Glaymann Non, je n’ai pas quitté...

Amis de l’IREM Tu as quitté la présidence

M. Glaymann J’ai quitté la direction, je suis resté formateur.

Amis de l’IREM Je me souviens t’avoir rencontré plus tard.

M. Glaymann J’étais formateur, mais je n’étais plus directeur ; parce que je n’avais plus envie de gérer quelque chose qui perdait ses moyens. Parce qu’il était évident que si on tronquait une année, on allait tronquer d’année en année.

Amis de l’IREM Justement, c’est l’occasion de revenir peut-être sur les principes des IREM. Les principes qui présidaient à la formation des IREM, qui étaient des principes... tu en as dit tout à l’heure un : mi-temps seulement ; d’autres, c’était la rotation des tâches. On n’en n’a pas beaucoup parlé. Par exemple, la formation par les pairs, des choses comme ça, est-ce que tu as envie de développer un peu ?

M. Glaymann Les enseignants, les formateurs restent auprès de classes, continuent à avoir des élèves. Ce qu’on voulait éviter, c’est de fabriquer des gens qui deviennent formateurs, formateurs de formateurs etc...Donc ça c’était ridicule.

Amis de l’IREM Le lien aussi entre formation et recherche ?

M. Glaymann En plus, on voulait que les formateurs continuent à avoir des élèves pour pouvoir faire des recherches dans les classes et continuer à avancer correctement.

Amis de l’IREM Non, j’insiste, parce que c’est des principes qui étaient assez contradictoires avec les fonctionnements habituels. C’est pour ça que peut-être, les gens qui ne savent pas, je veux dire, ça valait le coup de développer ça. C’est quelque chose qui ne va pas du tout avec le fonctionnement habituel. Par exemple, un autre exemple, c’est le lien entre le supérieur et le secondaire.

M. Glaymann Alors là-aussi, là-aussi c’était intéressant. Parce que, pour la première fois, on pouvait travailler en groupe, avec des gens qui venaient de différents niveaux de formation, continuer quand même à avancer. On a quand même vu un phénomène incroyable ; un prof de spéciale, qui démissionne de sa classe de spéciale, pour aller enseigner en sixième ! C’est Louis Duvert.

Amis de l’IREM Jusqu’en 6° c’était raisonnable. A partir de la 4°, ça aurait pu devenir difficile ! (rires)

M. Glaymann Voilà. Mais on a vu un phénomène comme ça. C’est quand même considérable quand on y réfléchit. L’inspection générale a avalé son, leur ratelier quand ils ont su que Duvert quittait sa classe de spéciale pour aller en 6°. Moi, je me souviens, Magnier, inspecteur général, m’a dit : « Vous êtes fous ». Je lui dis : « pourquoi ? » il me dit « on ne fait pas ça, on retire pas d’une classe de spéciale... » Pour lui la classe de spéciale c’était le summum, envoyer Duvert en 6° c’était, c’était pire que tout. Il y a Gouret qui a suivi : il a fait pareil.

Amis de l’IREM Et Duvert s’occupait aussi à Francheville de primaire.

M. Glaymann Alors, entre temps on avait créé une recherche à l’école de Francheville ; et Duvert venait travailler. Enfin constamment, il y a eu des gens qui venaient d’un peu partout, pour voir comment les gamins travaillaient.

Amis de l’IREM Alors justement, c’est la chose que j’arrive mal à comprendre. En fait ce que tu nous expliques, ça partait plutôt des mathématiques, ça partait plutôt d’un constat que les mathématiques étaient pas bien enseignées.

M. Glaymann Non, c’est pas ça.

Amis de l’IREM Et puis en fait, ce n’était pas les bonnes mathématiques qui étaient...

M. Glaymann C’est à dire, il y avait un tel écart entre ce qu’on enseignait dans les lycées et collèges et ce qu’on enseignait à la fac, qu’il fallait arriver à combler un petit peu.

Amis de l’IREM Ouais. Et en même temps, la deuxième chose, tu viens de le redire, on venait voir comment on enseignait. Est-ce qu’il y avait aussi, même si c’était pas des didacticiens, est-ce qu’il y avait une volonté de réfléchir sur comment faire passer ces notions.

M. Glaymann Oui, à Francheville, on avait décidé, en commun avec les instituteurs de faire travailler les gamins, en mathématiques, en groupe Les gamins travaillaient en groupes, on leur donnait des situations, ils travaillaient, ils réfléchissaient, demandaient des conseils

Amis de l’IREM Je me souviens que tu as écrit quelque chose sur l’aléatoire en sixième, je veux dire une tentative d’enseigner les probabilités

M. Glaymann Oui, on a enseigné les probabilités, à l’école primaire, c’est très facile de mathématiser la notion d’aléa, et par conséquent de faire jouer les enfants, utiliser des tables de nombres aléatoires, bref, on a fait faire des découvertes aux enfants, et après ça on leur demandait d’essayer de réaliser un modèle mathématique pour essayer de justifier ce qu’ils trouvaient.

Amis de l’IREM Quel lien vous aviez avec les Ecoles Normales ?

M. Glaymann Je crois qu’il n’y en avait pas

Amis de l’IREM On était observateurs

M. Glaymann Ce qui s’est produit c’est que des collègues de l’Ecole Normale venaient observer, venaient voir un petit peu ce qui se passait à Francheville… C’était quand même une école pilote, c’était révolutionnaire, ce qui se passait. Ça a été beaucoup plus profond que partout ailleurs, et ça été la volonté d’un IPR Bougault qui s’était lancé à fond dans ce travail et qui nous avait fait entièrement confiance.

Amis de l’IREM Et là il y a eu des publications.

M. Glaymann Peu, c’était dur de faire des documents didactiques, si on n’a pas vu les enfants travailler avec ce genre de choses, c’est inapplicable, le transfert…

Et régulièrement, il y avait toujours quelqu’un de l’équipe qui venait dans la classe, les instituteurs avaient accepté de faire ce travail, mais ils n’avaient aucune formation au départ, ils nous ont accepté, ils jouaient le jeu, et nous on avait assuré, on leur avait dit : on viendra régulièrement, vous ne serez jamais tout seuls, s’il y a un problème, on sera là pour essayer de dépanner.

Amis de l’IREM Cette idée d’observer dans les classes, il me semble que c’est assez proche de la didactique, au moment où elle a commencé à se créer.

M. Glaymann Oui bien sûr, mais…

Amis de l’IREM Qu’est-ce qui vous différenciait ?

M. Glaymann Nous c’était plutôt voir si un certain nombre de situations étaient praticables, on ne faisait pas de réflexion sur la mathématique et sur la méthodologie.

Il n’y avait pas de meta machin, c’est pas ça qui nous intéressait, on n’avait pas le temps de faire ça, il y avait simplement l’élaboration de situations allant vers un certain nombre d’objectifs, et puis on proposait aux instituteurs de travailler dans telle ou telle direction…

Mais eux, ils ont fini par découvrir plein de choses, plein d’idées, plein de situations intéressantes.

Amis de l’IREM Est-ce qu’il y a eu des études sur des cohortes d’élèves qui sont passés dans cette école de Francheville ?

M. Glaymann Il y a eu au moins 4, 5 générations d’enfants qui sont sortis de là, on n’a jamais entendu dire qu’il y avait une catastrophe quelque part, on n’a pas pu faire d’étude parce qu’on n’avait pas les moyens, mais vraisemblablement ces enfants ont poursuivi leur cursus normalement, sans qu’il y ait vraiment de catastrophe, on a vu à l’inverse des choses extraordinaires pour nous, arrive un garçon yougoslave qui ne connaissait pas un mot de français, 14 ans, à Francheville le Haut, en trois mois, il parlait parfaitement le français et était un champion des mathématiques, à l’école… Il avait fait en une année tout le cursus ..oui celui-là aurait fait n’importe quoi, mais bon il s’est trouvé dans cette école, et ça lui a permis en moins d’un an, d’aller en sixième et de suivre très correctement.

Amis de l’IREM L’expérimentation avait touché la maternelle également.

M. Glaymann Oui, il fallait aussi que l’institutrice de maternelle accepte, ça posait un certain nombre de problèmes, parce que ça l’obligeait à repenser complètement la structure de sa classe et le contenu.

Amis de l’IREM Je crois vraiment qu’il fallait pour que ça fonctionne la conjonction, d’une situation un peu exceptionnelle et qui n’est peut-être pas près de se reproduire, à savoir un moment historique où il y avait un peu d’utopie, les gens étaient prêts à foncer, une évolution de la discipline elle-même qui était perçue, c’est la deuxième chose, et troisièmement des personnalités qui étaient quand même exceptionnelles, quelqu’un qui part de sa classe de spéciale pour aller.. c’était vraiment exceptionnel, ces trois choses, ça explique peut-être que ça se soit passé en math plutôt que dans les autres disciplines, parce que les trois choses n’étaient pas réunies en même temps dans les autres disciplines.

Vers l’international

Amis de l’IREM Moi j’ai une autre question, quel lien avec le mouvement Bourbaki ? parce qu’il y a eu un grand changement à la fac, avant...

M. Glaymann Il faut dire que depuis les années 50, il y a un certain nombre de mathématiciens qui se préoccupent de l’enseignement des mathématiques, qui se réunissent régulièrement, tous les ans. C’était des gens comme Freudenthal, comme Papy, comme Revuz, comme Lichnérowicz.

Un certain nombre de mathématiciens, dès les années 50, sous la pression de Bourbaki, se préoccupent de..

Amis de l’IREM Sous la pression de Bourbaki ?

M. Glaymann Oui, parce qu’ils étaient tous plus ou moins en connexion. Ce n’est pas par hasard que Dieudonné viendra régulièrement à la commission Lichnérowicz pour mettre son grain de sel. Lui c’était quand même le bourbakiste par excellence.

Je crois que le mouvement est venu des mathématiciens eux-mêmes qui commencent, dès les années 50, à se préoccuper de l’avenir des mathématiques scolaires, et il y a des séminaires, il y a des congrès, plein de choses...

Ce que j’ai oublié de dire c’est que le premier congrès international sur l’enseignement des mathématiques va avoir lieu à Lyon en 1969, j’étais infatigable à l’époque, je ne recommencerais pas maintenant… On se retrouvait 1000 professeurs de mathématiques venant du monde entier…

Amis de l’IREM C’est le début d’ICME, ça…

M. Glaymann Voilà, en 69, premier congrès international à Lyon.

Amis de l’IREM Qui était venu par exemple, comme personnalités marquantes ?

M. Glaymann Il y avait des gens comme Christiansen au Danemark, Fletcher en Angleterre… des américains, des russes, il y a même eu un problème énorme le premier jour parce qu’on avait invité un mathématicien allemand, ils étaient 2 un de la RDA et l’autre de la république fédérale, et il était question de lever les drapeaux.

Et quand je me suis aperçu qu’on n’avait pas le droit de lever le drapeau de la RDA, j’ai dit niet, il n’y a pas eu de drapeau français, seulement le drapeau de Lyon...

Amis de l’IREM Et quel était le thème ?

M. Glaymann Le thème c’était l’enseignement. Tu avais fait une conférence, René...

R. Gauthier Oui, je dois encore avoir le texte quelque part. ça durait une heure et demie.

M. Glaymann Il y avait une dizaine de conférences plénières, et ensuite des groupes de travail.

Amis de l’IREM C’était financé par les IREM ou ?

M. Glaymann Non, non, ça été financé par le gouvernement. Le gouvernement a débloqué des crédits…

Amis de l’IREM C’était la naissance de la CIEM, les étrangers étaient aussi partie prenante

M. Glaymann Bien sûr. Il y avait un bureau avec Freudenthal qui était le grand patron, et puis autour on était une dizaine, à avoir assuré la création de cet ICME qui a fonctionné et qui fonctionne encore…

Alors, bon on peut dire un petit peu qu’on est à l’origine de tout ça, et je en vous cache pas que pendant très longtemps, la France était appréciée pour ses IREM, c’était vraiment devenu la spécialité de la France, et tout le monde nous invitait pour qu’on parle des IREM. On a même été jusqu’au Viet Nam en 75 pour créer des instituts là-bas, en 75 au moment de la chute de Saïgon

Amis de l’IREM Je me rappelle que tu avais fait une sortie assez extraordinaire, en disant au ministre de l’Education du Viet Nam du Sud : « Vous ne croyez pas qu’on ferait bien d’attendre un peu, que le Viet nam du nord soit ici pour qu’on puisse discuter avec eux. »

M. Glaymann On était en train de discuter de la rédaction des manuels scolaires, qu’est-ce qu’il faut faire pour faire de bons manuels scolaires… alors. Au bout d’une heure et demie, je me suis adressé au ministre et je lui ai dit : vous ne croyez pas qu’on pourrait peut-être regarder ce qui est publié au Vietnam du nord. Il a répondu avec un grand sourire : la proposition est peut-être prématurée...

R. Gauthier Les maths modernes se vendaient beaucoup par le ministère des affaires étrangères.

M. Glaymann Il y a eu des missions.

R. Gauthier Oui, oui, je suis allé au Caire, je suis allé au Liban, pour parler des maths modernes en France.

Amis de l’IREM Si je suis bien informé, certains de ces pays ont gardé les programmes ( de maths modernes) plus longtemps qu’en France.

Amis de l’IREM Je suis allé il n’y a pas très longtemps en Équateur, par l’intermédiaire des IREM encore, ils m’ont demandé d’expliquer comment fonctionnaient les IREM en France, c’était il y a 3 ans, 4 ans, et effectivement, les programmes c’était les ensembles, les relations, les espaces vectoriels …, et ils étaient dans une démarche de changement de programme.

M. Glaymann On avait fait des missions là-bas.

R. Gauthier On nous avait demandé de rédiger des bouquins.

Amis de l’IREM Vous étiez des missionnaires des maths modernes. Finalement qu’est-ce que vous en pensez maintenant, tout à l’heure, j’ai entendu que René était critique par rapport à ça, et Maurice un peu moins.

Retour critique

M. Glaymann C’est pas que je suis un peu moins critique, je pense que si on n’avait pas eu les contraintes, en particulier les contraintes telles que les contraintes de Revuz concernant l’échafaudage du programme de quatrième, de façon à ce que ça représente mathématiquement quelque chose d’impeccable, on aurait pu faire vraisemblablement une géométrie en quatrième intelligente,

R. Gauthier Je ne suis pas de cet avis.. je pense qu’on était très prétentieux, de vouloir faire des choses théoriques avant que les gamins soient capables d’apprécier, Prétentieux, et intolérants, totalement intolérants.

Si quelqu’un n’était pas de notre avis, on l’envoyait chier, c’était incroyable, on était les rois des cons.

Je me rappelle que les gens de l’académie des Sciences qui critiquaient les maths modernes, on les a insultés.

M. Glaymann Mais peut-être qu’il fallait un peu d’intolérance pour secouer le cocotier.

R. Gauthier Sûrement, mais je pense qu’on s’est trompés en pensant faire des choses abstraites...

M. Glaymann ...trop tôt...

R. Gauthier ...trop dogmatiques...

M. Glaymann ...et trop tôt, ça c’est sûr

Amis de l’IREM ...à titre personnel, il me semble que j’ai commencé à comprendre l’intérêt des groupes, enfin ce que j’en pense actuellement...., et celui des structures en général, à la fac, tardivement, où d’un seul coup je me suis rendu compte que si l’objet avait la structure de groupe, je pouvais utiliser tout ce que je savais sur les groupes en général, et que c’était extrêmement riche à cause de ça. Mais quand tu es lycéen et que le seul exemple de groupe que tu as c’est un groupe de nombres, l’intérêt est bien moindre.

M. Glaymann Oui, on avait réfléchi sur la question, on avait trouvé des exemples d’autres structures de groupe, qui mobilisaient quand même les notions.

Mais, René a raison de dire que c’était trop tôt pour introduire des notions trop abstraites, mais, par contre, pour revenir à tout ce qui est aléatoire, c’était intéressant de commencer très tôt à mobiliser l’esprit sur ces problèmes aléatoires parce que la seule pensée qu’on développe, c’est la pensée déterministe, c’est quand même intéressant de montrer à un gamin qu’on peut faire des simulations, jouer avec le hasard, on peut les faire réfléchir sur un certain nombre de choses, qui sont importantes …tous ces gens qui perdent des fortunes aux jeux de hasard. Ou qui gagnent.

Il n’y a que ceux qui ont joué qui gagnent

R. Gauthier Je crois qu’il y a eu aussi autre chose, en relation avec les IREM, à savoir que, on a fait du bon boulot, on a appris les maths modernes à des collègues qui n’avaient jamais vu ça, et qui ensuite les ont ressorties tout de suite dans leurs classes, sans un brin de maturation, sans prendre de recul.

Amis de l’IREM C’est ça qui crée le dogmatisme en général, quand tu ne maîtrises pas…

Amis de l’IREM Une des grandes critiques qui été faite aux maths modernes, c’est la faible importance donnée à la recherche de problèmes, qu’est-ce que vous en pensez ? qu’est-ce que vous en pensez aujourd’hui ?

M. Glaymann Faut pas oublier qu’il y a eu un groupe qui a travaillé à l’IREM de Lyon sur les problèmes dits ouverts. (Note des Amis de l’IREM. Le livre Problème ouvert et situation-problème, Arsac, Mante, Germain est paru en 1991. Il a été publié après des expérimentations commencées au début des années quatre-vingt) Il y avait en profondeur l’importance de rester concrets et de ne pas perdre de vue l’importance des problèmes.

Amis de l’IREM Ça veut dire que passé ce premier moment de dogmatisme, assez inévitable, je veux dire, l’IREM a dû aussi changer.

M. Glaymann Mais bien sûr. N’empêche que, comme je le disais tout à l’heure, on a tout de même fait un certain nombre de recherches sur les machines à calculer.

R. Gauthier On n’avait pas besoin des maths modernes pour ça.

M. Glaymann Non mais en même temps, en parallèle..

N’empêche que, … on a fait des choses intéressantes.

Amis de l’IREM L’IREM prêtait des calculatrices… Oui…

Amis de l’IREM Moi, ce que je voulais dire sur la période dogmatique, c’est l’enthousiasme..

R. Gauthier ça c’était extraordinaire !

Amis de l’IREM on travaillait le soir, des parents d’élèves venaient.

R. Gauthier On faisait des clubs de parents.

M. Glaymann extraordinaire !

Amis de l’IREM on a tous été formés aux maths modernes. …A la fac.

Amis de l’IREM à partir de la seconde … je me souviens qu’au bepc, il y avait deux sujets, le sujet des maths modernes, et ..

R. Gauthier il y avait le matériel des blocs logiques.

M. Glaymann à la primaire.

Amis de l’IREM et les publications, il y avait des publications internes à l’IREM.

Qu’est-ce qui a été vendu très vite à l’extérieur ?

M. Glaymann Qu’est-ce qui a été vendu ? difficile à dire, l’IREM a fait surtout des publications internes… soit des compte-rendus, soit des documents pour se familiariser avec telle ou telle notion.

Parce que très vite il y a eu les fameux problèmes au niveau de l’analyse, en seconde première, terminale, parce que là aussi il y a eu des modifications très importantes dans l’approche de l’analyse.

La création du réseau

Amis de l’IREM Question sur la création du réseau

M. Glaymann J’ai l’impression que l’ADIREM s’est créée quand tous les IREM ont été créés A ce moment là il y a eu le besoin de fédérer tout ça et de se réunir avec moins de gens pour réfléchir à ce qu’on pouvait faire.

Donc l’ADIREM, je dirais, c’est 7, 8 ans après la création des IREM

Amis de l’IREM Sur les publications, est-ce qu’il n’y a pas une véritable nouveauté, les écrits sur les mathématiques avant étaient de nature différente, tu avais un cours.

M. Glaymann Il y avait le bulletin de l’APM.

Amis de l’IREM C’est vrai, qui lui existait depuis très longtemps.

M. Glaymann Qui publiait très régulièrement des articles, des problèmes.

Amis de l’IREM Est-ce que la description de séquences, l’observation de séquences, ça existait, là je n’ai pas assez de recul, … avant cette période là

M. Glaymann très très vite, tu as des gens comme Marcel Dumont, qui ont proposé des choses comme ça. Non, non, en mathématiques, on a eu de la chance, d’avoir l’APM, qui a été un véritable aiguillon.

Amis de l’IREM Qui avait les structures pour diffuser...

M. Glaymann ...qui avait de grandes structures pour diffuser et qui était très implantée. Moi je sais, j’ai été président de l’ APM, l’APM représentait 15 000 adhérents, 15 000 ! Il n’y en a plus que 3000 maintenant.

Amis de l’IREM Qu’est-ce qu’il y avait avant les régionales, il y avait un bureau national à l’APM ?

M. Glaymann oui.

Amis de l’IREM Il n’y avait pas de structure intermédiaire.

M. Glaymann Il n’y avait pas de structures intermédiaires. Le bulletin était fait par un bonhomme.

Amis de l’IREM Qui ça ?

M. Glaymann Ça a été Walusinski, puis, comment il s’appelle ? Vissio.

Amis de l’IREM Brouhaha : Vissio, Condamine et Vissio

M. Glaymann Quand j’ai fait le bulletin, j’ai tout de suite créé une commission, de façon à ce que le bulletin ne soit plus fait par un seul individu, mais que les articles soient lus par au moins trois personnes, qu’on en discute, qu’on sache vraiment pourquoi on fait ce bulletin

Amis de l’IREM Ça fonctionne toujours sur ces principes là.

M. Glaymann Ça fonctionne toujours sur ces principes là, c’est la seule façon de faire un bulletin qui ait un sens.

Moi quand j’ai pris la succession, je me suis retrouvé avec des articles qui avaient 10, 15 ans, extraordinaires, qui n’avaient jamais été publiés, parce que ni Walu ni Vissio n’avaient vu l’intérêt de ces articles… ça c’est pas acceptable.

Amis de l’IREM Tu publiais ailleurs, raconte nous, la CEDIC

M. Glaymann La CEDIC. On avait créé avec 3 ou 4 copains une maison d’édition, et moi j’avais suggéré de faire une collection qui s’appelle formation des maîtres.

Pendant 7, 8 ans, je me suis efforcé de discuter avec tous les gens qui étaient capables de produire des documents.

Quand on regarde ce qu’il y a c’est mathématiques et ses applications, c’est Galion, un séminaire de Galion, l’algèbre linéaire par ses applications c’est Fletcher, le Livre du problème, c’est tout ce que l’IREM de Strasbourg va faire autour du problème, madame Robert de l’école normale de Chambéry va faire addition dans N, André Myx, modèles finis, géométrie d’un carré, Pierre Gagnaire, langage des catégories, probabilités à l’école, quelques thèmes …

Amis de l’IREM Les publications c’était plutôt par CEDIC que par les IREM.

R. Gauthier et l’APM.

M. Glaymann c’est-à-dire que l’APM et l’IREM ne pouvaient pas publier entièrement ce genre de choses, il fallait une structure commerciale.

Amis de l’IREM C’était spécial tout de même, on était abonné.

M. Glaymann On avait créé un abonnement annuel, et les collègues recevaient régulièrement les fascicules.

Amis de l’IREM On donnait l’argent d’avance.

M. Glaymann on faisait confiance.

Amis de l’IREM Tu étais déjà éditeur.

M. Glaymann oui j’étais déjà éditeur à ce moment là.

Amis de l’IREM Ça, les gens qui vont écouter ne le savent pas, tu es actuellement éditeur.


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